Il y a exactement dix ans, soit au début de l’année 2004, alors que j’étais professeur d’archivistique à la Haut école de gestion de Genève, Jacques Grimard m’a écrit pour me demander de rédiger un texte d’une seule page sur ma vision de la « révolution numérique ». En m’écrivant – à moi, mais aussi à de nombreux autres collègues –, il cherchait à mesurer les impacts du numérique sur nos pratiques. Les résultats de cette enquête ont fait l’objet de la conférence d’ouverture du 33e congrès de l’Association des archivistes du Québec qui s’est déroulé à Sainte-Adèle, les 27-29 mai 2004 sous le thème : Changement de paradigme en gestion de l’information, impacts sur nos façons de faire. L’année suivante, un texte remanié de cette conférence a paru dans la revue Archives [1]. Je reproduis ci-dessous le texte que je lui ai envoyé à l’époque. Vous constaterez vous-mêmes que, même si dix ont passé, le contenu n’a guère vieilli… Jacques Grimard, lui, a quitté ce monde à l’automne 2007. Et je ne cesse de penser à lui depuis lors et je lui suis encore reconnaissant pour la confiance qu’il m’a accordée.
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L’annonce d’un changement de paradigme en archivistique a été proclamée à la fin des années 1980 par des archivistes nord-américains dans le contexte général de l’application des principes archivistiques à la gestion des documents sous forme électronique. Bien que ce concept de paradigme remonte aux Grecs (Platon), c’est l’épistémologue Thomas Kuhn qui, au début des années 1960, lui a donné son sens actuel. Ce concept ne se réfère pas seulement au développement des sciences, mais aussi à leur application, voire à leur modélisation par la communauté professionnelle. En archivistique, par exemple, un changement de paradigme signifierait que la communauté archivistique aurait intégré dans sa pratique des changements intervenus dans ses principes et assises. A partir là, posons simplement la question suivante : « Qu’est-ce qui a changé dans nos pratiques qui mérite que l’AAQ fasse du changement paradigmatique le thème de son 33e congrès ? »
Essentiellement trois choses :
- L’intervention de l’archiviste dès la création, voire dès la conception des documents et des systèmes qui les gèrent, est une devenue une nécessité vitale, car c’est le seul moyen de préserver l’authenticité et la fiabilité des archives, autrement dit leur valeur de témoignage. L’archiviste qui se contente d’attendre des « versements » est un archiviste en voie de trahir sa mission fondamentale : la constitution du patrimoine documentaire de la nation.
- L’intervention dès la conception des documents et des systèmes qui les gèrent supposent une pratique professionnelle de plus en plus normalisée. Ainsi la rédaction de politiques, procédures et normes fait dorénavant partie du labeur quotidien de l’archiviste. Et le « compliance management » devrait faire partie de son horizon professionnel…
- Le fait de savoir si le changement de paradigme en archivistique affecte ou non la justesse de ses principes et assises constitue un débat qui est loin d’être clos… Le principe de provenance, en spécifiant le contexte de la production des documents, semble être en mesure de garantir l’authenticité et la fiabilité des documents sous forme électronique. Par contre, la notion de cycle de vie s’avère malmenée par certains chercheurs anglophones, théoriciens du records management, qui tentent de la transformer en records continuum. Cette dernière notion, toutefois, pénètre avec difficulté dans les milieux professionnels. Quant à la notion de « document », elle interpelle la structure des données et alimente de nombreuses discussions…
Assistons-nous à un véritable changement de paradigme en archivistique ? Sans doute… mais le processus est toujours en cours.
Genève, janvier 2004
Daniel Ducharme, archiviste et chargé de cours
BAnQ Vieux-Montréal & ÉBSI Université de Montréal
[1] Jacques Grimard, « L’archivistique à l’heure du paradigme de l’information… ou la « Révolution » numérique à l’« âge » archivistique ». Archives, 37 :1 (2005-2006), p. 59-87
« Qu’est-ce qui a changé dans nos pratiques qui mérite que l’AAQ fasse du changement paradigmatique le thème de son 33e congrès ? » à cette question d’il y a 10 ans, je répondrais aujourd’hui que je suis très préoccupée par les questions d’intégrité et de destruction.
L’intégrité d’un document ne peut être dissociée de l’outil et du support. Or ces deux « choses » évoluent et se transforment à une vitesse vertigineuse. Quelles sont les pratiques à mettre en place? Comment y consacrer assez d’effort sans y consacrer trop d’efforts?
Assurer la destruction d’un document qui existe sur une plateforme, qui a été communiqué par courriel et qui a été enregistré sur de nombreuses copies de sécurité me semble être un problème de taille. Comment suivre toutes ses instances d’un même document?
Je crois que nous avons encore plus de questions que de réponses! Les discussions à venir seront passionnantes!
Vous avez tout à fait raison. Au Québec, dans l’administration publique, certains systèmes d’information ne permettent pas la destruction des données… Merci pour votre commentaire.
Oui, je suis d’accord avec dans la nécessité au changement des paradigme en archivistique et leur adoption a l’ère numérique actuelle mais que fait-on ?
Vous posez là une grande question… et je ne suis pas en mesure de vous fournir la réponse. Continuez à suivre Convergence et vous découvrirez certainement des éléments de réponse au fil du temps.