Fonction : Diffusion/Numérique

Les projets Wiki dans les musées du Québec. Entretien avec Nathalie Thibault (1/2)

Par Jonathan David

Les « projets Wiki » sont de plus en plus populaires dans les GLAMS (Galeries, librairies, archives, musées) du monde entier. Le Québec n’échappe pas à la tendance; le Devoir nous apprenait en janvier dernier que le Musée national des beaux-arts du Québec se lançait dans la promotion de ses collections sur Wikipédia, et que les autres grands musées (MACM, MCQ et MBAM) s’intéressaient également à ce type de pratique. De plus,  l’Université de Toronto ainsi que l’Université Concordia viennent toutes deux d’ouvrir un poste de «wikipédien en résidence», dont le mandat consistera notamment «à promouvoir les compétences numériques chez les membres de la communauté universitaire».

Voici donc à ce sujet la première partie de mon entretien avec Nathalie Thibault, Archiviste chez Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).

J.D.Durant mes études universitaires, pas si lointaines dois-je préciser, nombreux ont été les professeurs qui ont senti l’importance de tous nous mettre en garde quant à l’utilisation de Wikipédia.  Or cette encyclopédie, dit-on, est maintenant la ressource documentaire la plus utilisée dans le monde. Devrait-on s’en réjouir, s’en plaindre, ou tout simplement s’en accommoder du mieux que l’on peut? 

N.T. – Oui, on peut s’en réjouir, car plusieurs services d’archives, centres de documentation, musées et bibliothèques ont le désir de contribuer à cette encyclopédie libre de maintes façons : sources publiées et fiables, images en haute résolution de qualité et dans le domaine public à l’international, partage des données en lien avec leur spécialisation. En ce qui a trait à la version française qui est celle sur laquelle nous contribuons principalement depuis quelques mois, je confirme que les données de base (occupation, date de naissance, date de décès, lieux, etc.) sur les artistes québécois et canadiens sont de qualité, car elles sont en lien avec des fichiers d’autorités validés (VIAF, ISNI, SUDOC, ULAN, Artistes au Canada, etc.) et reconnus en sciences de l’information et en histoire de l’art depuis de nombreuses années. Cette assise des professionnels de l’information (bibliothécaires, archivistes, documentalistes, etc.) est une force solide pour la qualité des projets de diffusion dans les milieux documentaires. La gestion et la gouvernance des données et des métadonnées sont des aspects importants à considérer dans les rôles futurs des archivistes. Ce projet de diffusion que nous nommons globalement « projet Wiki » au sein du Musée est un exemple concret de cette volonté d’ouvrir les données et d’explorer de nouvelles possibilités de diffusion.

J.D. – Le Devoir nous apprenait en janvier dernier que votre institution  se lançait dans la promotion de ses collections sur Wikipédia, et que les autres grands musées s’y intéressaient également. Il semble y avoir en ce moment un mouvement fort de sympathie, et cela apporte son lot de nouvelles opportunités de développement fort intéressantes pour l’encyclopédie, qui autrefois était pourtant boudé par ce type d’institution. Qu’est-ce qui a changé selon vous?

N.T. – Principalement les opportunités de réseautage du mouvement GLAM initié à travers le monde, et le désir d’interopérabilité et de partage de l’information qui est présentement en silo. Dans notre cas, c’est le partenariat en 2014 Wikimédia Canada et  Bibliothèque et archives nationales  Québec qui a éveillé notre curiosité et notre intérêt. Cette expérience a, je crois, favorisé et fortifié la crédibilité des projets Wiki au Québec. Un grand joueur du patrimoine documentaire se lançait dans Wikipédia, pourquoi pas nous !!

Le Musée national des beaux-arts du Québec souhaitait contribuer à cette encyclopédie libre depuis deux ans en combinant une approche citoyenne. Il importait que le citoyen puisse, par la consultation de sources fiables et publiées, contribuer directement au contenu sur notre site web et sur Wikipédia s’il le souhaite. L’arrivée du Plan culturel numérique du Québec a favorisé ce chantier d’exploration des données au Musée. Depuis juillet 2018, j’ai un mandat spécifique et j’y consacre hebdomadairement plusieurs heures.

Au début, il a fallu effectuer un constat et une comparaison de nos données de gestion des collections et des projets Wiki existants afin de réaliser un constat de la qualité de l’information présente sur nos collections (œuvres, images de nos collections, biographies d’artistes, etc.). Ce chantier a débuté avec la révision des données pour une centaine d’artistes dans nos collections. Nous avons ciblé les artistes exposés dans nos salles d’expositions comme premier critère de travail.

Rapidement le projet a évolué et c’est désormais plus de 2000 artistes représentés dans nos collections qui sont concernés par ce chantier. De janvier à mai 2019, nous avons organisé, avec la collaboration soutenue de Wikimédia Canada et de différents partenaires (BAnQ, Art&Feminism), 4 ateliers pour le public. Cette démocratisation vers l’externe a  permis d’initier des curieux de l’encyclopédie et aussi intéresser des institutions muséales du Québec à notre projet. Certains projets seront initiés au cours des prochaines années suite à cette première expérience positive. Une autre série d’ateliers est en préparation.

J.D. – Pourquoi les milieux des bibliothèques, des archives et des musées doivent-ils s’y intéresser?

N.T. – C’est déjà le cas dans plusieurs milieux documentaires, archivistiques et musées à travers le monde. Il y a plus de 100 wikimédiens en résidence répertoriés dans des grands musées  et certaines institutions de patrimoine, et ce depuis 2010. En France, des rencontres sont organisées afin de démystifier Wikipédia et ses possibilités. Pour les musées d’art, il existe un projet spécifique de données afin de répertorier l’ensemble des peintures détenues par les musées d’art dans le monde (à ce jour plus de 370 000 peintures compilées). Le MNBAQ contribue à ce projet de répertoire structuré avec plus de 3600 peintures décrites avec un identifiant unique Wikidata pour chacune.

J.D. La participation à Wikipédia offre une contrepartie très alléchante: une visibilité assurée, et une place de choix dans les résultats du moteur de recherche Google. Est-ce que vous considérez comme étant plus « payant » d’investir ses énergies sur Wikipédia plutôt que sur le développement d’un site institutionnel? Ou est-ce que vous considérez que l’un ne va pas sans l’autre?

N.T. – Depuis novembre 2018, notre projet Wiki intègre directement les biographies de Wikipédia en français sur notre site des collections par un script automatisé qui actualise l’article, plusieurs fois par semaine. Effectivement avec ce projet pilote, on constate qu’un nouvel article sur un artiste a une portée directe dans les critères de recherche des internautes. La majorité des nouveaux articles ou ébauches réalisés au cours de ce chantier ont des statistiques de consultation directe de plus de 200 vues chacune au cours des 6 derniers mois. De plus, sur notre site, l’article Wikipédia est complémentaire à d’autres sources pertinentes sur l’artiste que nous diffusions sur notre plateforme : site web de l’artiste, biographie du Dictionnaire biographique du Canada, etc.

De plus, le Musée possède plus de 4000 œuvres d’artistes d’origine française, britannique, américaine, etc. Rapidement, nous avons constaté que les articles existants pour ces artistes avaient plus de dix ans d’existence et la qualité de l’information présente était complémentaire en étant directement en partage sur notre site des collections en ligne. Un des impacts positifs de ce chantier a été de bonifier la présence d’œuvres dans des collections d’autres musées au Québec et au Canada dans les articles bonifiés et non pas juste le MNBAQ. Nous souhaitons collaborer avec les autres musées du Québec, car les articles améliorés sur les artistes du Québec serviront certainement à d’autres institutions muséales. Voici un exemple d’une fiche d’artiste : Ludger Larose qui intègre une photographie provenant de nos archives privées.

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Découvrez la suite de cet entretien la semaine prochaine…

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