Nouveaux regards

Série nouveaux regards : l’exploitation des archives à des fins de création

Convergence vous propose cette semaine le premier opus d’une nouvelle série de billets intitulée « Nouveaux regards ». Il s’agit d’une série qui laissera la parole aux nouveaux étudiants et chercheurs en archivistique qui souhaiteraient partager avec nous leur expérience de recherche.

Cette semaine, nous allons à la rencontre de Diana Walton, Étudiante au doctorat à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI), Université de Montréal.

J.D. – Sur quel(s) sujets(s) portent vos recherches?

D.W. – Ma recherche de maîtrise s’intéresse à l’exploitation des archives à des fins de création. C’est un phénomène en émergence qui, observé sous l’angle de l’archivistique, révèle que les archives sont utilisées non plus seulement que pour prouver, témoigner ou informer, mais aussi pour nourrir l’imagination, soutenir la création et susciter l’émotion par leur pouvoir d’évocation. En d’autres mots, les archives servent aussi bien à des fins de création qu’aux fins traditionnelles de gestion et de recherche.

Mon mémoire, intitulé Stratégies pour encourager et soutenir l’exploitation des archives par des artistes dans les centres et les services d’archives au Québec[1], a pour sujet les projets issus de l’exploitation des archives par des artistes contemporains. Il s’intéresse au potentiel d’intégration de ces projets dans la gestion des activités de diffusion des centres et des services d’archives au Québec et au rôle de l’archiviste dans ce nouveau contexte. Le but est d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la discipline archivistique en favorisant l’exploitation des documents d’archives par des artistes contemporains, en considérant l’artiste comme un usager et la création comme une forme d’exploitation des archives parmi d’autres.

J.D. – Qu’est-ce qui, initialement, vous a motivée à travailler sur ce(s) sujet(s) en particulier(s)?

D.W. – Pendant plusieurs années, mon activité professionnelle s’est inscrite dans le milieu des arts visuels. Outre une galerie d’art contemporain, j’ai aussi dirigé une galerie d’art spécialisée en gravures anciennes du 15e au 19e siècle (cartes géographiques, histoire naturelle, architecture, portraits et estampes japonaises). Parallèlement, j’ai cultivé un intérêt pour les documents familiaux anciens et les fonds d’archives personnelles, mais aussi pour les documents anciens corporatifs. Ces documents évoquent un monde antérieur que je prends plaisir à découvrir tout en élargissant mes perspectives sur la société, la culture ou l’histoire.

La création des artistes, leur démarche, leur vision et leur interprétation du monde m’ont toujours intéressée et fascinée. Je m’intéresse à la diffusion des arts, mais également à la diffusion des archives et au pouvoir d’évocation de celles-ci. Cette passion des arts et des archives et mon désir de les mettre en valeur en suscitant l’intérêt du spectateur m’ont amenée vers l’exploitation des archives à des fins de création.

J.D. – Quelles sont vos principales conclusions?

D.W. – Cette recherche a révélé que les projets issus de l’exploitation artistique des archives sont non seulement compatibles avec la mission de diffusion et la gestion de plusieurs centres et services d’archives historiques au Québec, mais qu’ils sont également profitables par leur potentiel à faire augmenter l’utilisation des archives, à sensibiliser et à attirer de nouvelles clientèles et d’ainsi en assurer une plus grande visibilité.

Une connaissance plus approfondie des artistes et de l’usage qu’ils font des archives est fondamentale pour mettre la discipline archivistique au diapason des tendances et des réalités actuelles en matière d’utilisation des archives. De même, l’exploration de nouvelles approches de diffusion et de promotion des archives constituent des éléments clés pour assurer l’avenir des centres et des services d’archives et pour garder ces lieux vivants.

Des recommandations, sous formes de stratégies, ont résulté de cette recherche. L’approche utilisée fut l’analyse des besoins. Celle-ci a permis, à travers la littérature, d’obtenir une vue d’ensemble montrant l’importance de l’exploitation des archives dans diverses sphères des arts et son impact sur la discipline. Ensuite fut constaté, après un survol du milieu archivistique canadien, et plus précisément de sa portion québécoise, que celui-ci constituait un terreau favorable à la conception de projets d’exposition d’œuvres réalisées à partir d’archives. Puis, après avoir effectué une analyse à partir des informations recueillies afin de dresser un portrait général des projets en arts visuels et médiatiques issus de l’exploitation d’archives s’étant déroulés dans des centres et des services d’archives, et après avoir identifié les sources de financement pouvant soutenir de tels projets, j’ai dégagé les tendances, les caractéristiques et les meilleures pratiques s’avérant pertinentes à l’élaboration de stratégies qui favoriseraient l’exploitation artistique des archives dans les centres et les services d’archives au Québec.

Ces stratégies visent à sensibiliser différents publics par la création de programmes innovateurs permettant de promouvoir les collections des centres et services d’archives par le biais de nouvelles approches d’interprétation que sont les expositions qui intègrent plusieurs points de vue ou perspectives. Ces pratiques adoptées par les galeries d’art et les musées conviennent aux aspects programmatiques qui influencent et attirent les visiteurs. Elles permettent une plus grande visibilité par l’atteinte d’une clientèle plus vaste et variée.

Cinq catégories de projets résultant de l’exploitation artistique des archives dans des centres et des services d’archives ont été identifiées, à savoir les résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique; les projets d’exposition avec des artistes invités; les projets initiés par un artiste; les expositions réalisées par des artistes-commissaires; et les commandes d’art public[2]. Une stratégie est proposée pour chacune de ces catégories.

La stratégie des résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique vise notamment à explorer et à mettre en valeur le processus archivistique en ciblant les artistes-utilisateurs dans le but de les encourager à effectuer des recherches et à exploiter les archives à des fins de création. Elle vise également, par l’observation et la cueillette d’informations, à développer un savoir-faire pour répondre aux besoins des artistes et en apprendre davantage sur leurs méthodes de mise en scène.

La stratégie des projets d’exposition avec des artistes invités propose la mise en valeur d’archives selon le concept de « dialogue avec les archives ». En créant des lieux qui favorisent l’expression identitaire, sociale ou même politique, elle vise à interpeler différents publics selon les thèmes exploités, par le biais de nouvelles approches de présentation et d’interprétation des archives, à travers les œuvres de groupes d’artistes.

La stratégie des projets initiés par un artiste propose trois volets. Elle vise à sensibiliser des acteurs du domaine archivistique à l’émergence de nouveaux utilisateurs et aux avantages de recourir aux artistes pour mettre en valeur les archives, puis à rendre les archives plus visibles et accessibles pour les artistes en créant des liens avec le domaine artistique, et enfin à établir, au sein d’organismes dotés d’un centre ou d’un service d’archives, un processus pour l’intégration d’expositions d’artistes ayant réalisé, de leur propre initiative, des œuvres issues de l’exploitation d’archives provenant de leurs collections.

La stratégie des expositions réalisées par des artistes-commissaires est envisagée dans la perspective de l’exploitation des archives religieuses. Elle propose la conception d’expositions grand public qui représenteraient le volet archives du patrimoine religieux du Québec. Elle vise l’exploration de différents thèmes témoins de l’histoire d’une grande richesse par l’exploitation des archives, à travers des mises en scène à partir d’archives sélectionnées par un artiste en collaboration avec un archiviste.

La stratégie d’art public, pour sa part, tire profit de la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement à laquelle seraient assujettis la plupart des organismes identifiés au cours de cette recherche s’ils entreprenaient des projets de construction, d’agrandissement ou de restauration d’un bâtiment ou d’un site.

Dans le cadre de l’ensemble des stratégies proposées, l’archiviste serait appelé à rechercher et à attirer ces nouveaux usagers-artistes, à améliorer leur accès aux archives, ainsi qu’à identifier leurs besoins informationnels en documentant leur processus de recherche et leur usage des archives. Il serait également appelé à collaborer avec les artistes dans un but de création, et ainsi à développer de nouvelles approches à la diffusion des archives. L’archiviste agirait également en tant que « lobbyiste », en initiant et en encourageant des collaborations pour un effet de promotion des archives plus fort auprès du public et pour renforcer le pouvoir d’influence à négocier des ententes et à obtenir du financement, mais aussi pour revendiquer la création de nouveaux programmes d’aide financière qui allieraient art et patrimoine. Enfin, l’archiviste enrichirait la discipline en intégrant l’artiste dans sa vision de l’archivistique, non seulement en tant qu’utilisateur ayant des besoins qui lui sont propres, mais également en tant que collaborateur pour révéler les archives sous un jour nouveau à travers des créations artistiques, et ainsi atteindre le public autrement.

L’utilisation artistique des archives se doit d’être considérée au même titre que les autres types d’usage à des fins administratives, scientifiques ou patrimoniales. Les archivistes ont grandement intérêt à s’intéresser aux travaux des artistes contemporains et à poursuivre leurs efforts de collaboration par l’entremise de programmes adaptés. Cette étude vise à mieux faire connaître ce type de manifestation artistique, à montrer comment il serait possible d’en favoriser le développement et, par conséquent, d’en augmenter les retombées pour le domaine des archives.

Pour illustrer l’éventail des possibilités qu’offrent les artistes qui exploitent des archives au sein de centres et de services d’archives, les liens ci-dessous mènent à des exemples d’œuvres réalisées dans le cadre de projets issus de l’exploitation des archives à des fins de création. Ces exemples furent une source d’inspiration dans le cadre de ma recherche.

J.D. – Quelle a été votre découverte la plus intéressante durant votre démarche de recherche?

D.W. – Dans un premier temps, une exploration du milieu archivistique québécois a révélé qu’une proportion importante des centres et services d’archives historiques au Québec, par leur structure administrative, l’aménagement de leur site et la richesse insoupçonnée de leurs fonds et collections, constituait un terreau favorable à la conception de projets d’exposition d’œuvres réalisées à partir d’archives.

Dans un deuxième temps, les possibilités hors des sentiers battus qu’offrent les collaborations entre archivistes et artistes pour susciter l’intérêt du public et pour voir les archives autrement. D’un point de vue archivistique, un aspect particulièrement intéressant des projets issus de l’exploitation artistique des archives est que l’archiviste, grâce à sa collaboration avec l’artiste, peut sélectionner des archives riches en contenu, mais peu attrayantes par la forme ou le contenant, par exemple certaines archives textuelles. Généralement, l’utilisation d’archives iconographiques prédomine dans la réalisation d’œuvres ou dans la conception d’expositions d’archives alors que l’exploitation d’autres types d’archives, textuelles, sonores, films ou autres s’effectue dans une moindre mesure. Les artistes se révèlent parmi les plus aptes à mettre ces dernières en valeur par leurs interventions artistiques, constituant ainsi une voie à explorer davantage.

L’exploitation artistique des archives permet de mettre en valeur des archives en les abordant et en les présentant sous un angle différent, et ainsi attirer l’attention et stimuler l’intérêt du spectateur. Les types de projets proposés permettent de réanimer et de réactualiser l’archive, et d’ainsi révéler des manuscrits, des documents sonores, des vidéos, des photographies ou des documents cartographiques de grand intérêt et de les faire émerger de la masse documentaire dans laquelle ils risqueraient de passer inaperçus.

J.D. – À qui adressez-vous vos résultats? Qui risque de s’intéresser à votre mémoire?

D.W. – Les résultats s’adressent surtout à l’archiviste ou à tout professionnel œuvrant dans un centre d’archives historiques qui souhaite mettre en valeur les archives de manière innovante, qui cherche à élargir sa clientèle ou à mieux connaître ces nouveaux utilisateurs que sont les artistes.

J.D. – Avez-vous eu à rencontrer des défis particuliers au cours de votre démarche? Des résistances?

D.W. – Pour en assurer la viabilité, les stratégies ont été élaborées en fonction des caractéristiques et des contraintes économiques du milieu et des sources de financement envisageables pour la réalisation de projets issus de l’exploitation des archives à des fins de création. Ceci fut particulièrement difficile en raison de l’offre restreinte de programmes et autres sources de financement actuellement en place au Québec. En effet, ceux-ci sont offerts soit pour la création artistique professionnelle, soit pour la mise en valeur du patrimoine, ce qui rend la recherche de financement complexe puisque ces deux domaines sont généralement traités séparément pour l’attribution de subventions. Celles accordées aux arts le sont pour les acteurs œuvrant professionnellement dans des domaines artistiques pour le développement de l’artiste ou du domaine des arts, et celles attribuées pour la mise en valeur du patrimoine n’incluent pas la création artistique, alors que nous souhaitons faire revivre les archives et les présenter à travers les arts.

J.D. – Un ouvrage coup de cœur en lien avec votre sujet?

D.W. – Tout d’abord, je tiens à souligner les cahiers Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique produits sous la direction de Yvon Lemay et Anne Klein[3] qui ont servi à l’élaboration d’une assise conceptuelle à ma recherche sur le sujet de l’exploitation des archives à des fins de création.

Mon grand coup de cœur va à l’article de Kathy Carbone intitulé Artists and records: moving history and Memory[4]. En résumé, celui-ci traite de la résidence d’artiste qui a inauguré un programme d’artistes en résidence lancé en 2013 au Portland Archives & Records Center (PARC) en Oregon. Diana Banning, l’archiviste qui a initié le programme, a déclaré qu’elle souhaitait que ces résidences d’artistes contribuent à briser les stéréotypes sur les manières d’utiliser les collections historiques et que l’interprétation de ces collections par des artistes laisserait entrevoir de nouvelles perspectives. Carbone s’intéresse à la manière dont les artistes ont créé des œuvres en explorant le côté affectif de l’histoire et de la mémoire à partir d’une collection de fichiers de surveillance policière de militants et de groupes civiques des années 1960 aux années 1980. Les artistes ont ainsi créé un large éventail d’œuvres, métamorphosant autant les archives que l’expérience générée par celles-ci en des créations orales ou gestuelles, des objets de poésie, des triptyques photographiques, des dessins et des textes. La majorité des œuvres furent réalisées en collaboration avec quatre activistes ayant fait l’objet de surveillance policière, d’autres artistes hors résidence et un archiviste. Les artistes ont diffusé leurs travaux par des conférences, des performances, des installations et des expositions à travers les États-Unis. Cette résidence d’artistes et les évènements culturels qui en ont découlés ouvrent la voie à des méthodes innovantes en explorant les possibilités qu’offre ce nouvel usage des fonds d’archives.

CC BY-NC-ND 2.0 Crédit : 1llustr4t0r

Références : 

[1] Walton. D. (2018). Stratégies pour encourager et soutenir l’exploitation des archives par des artistes dans les centres et les services d’archives au Québec (Mémoire de maîtrise, Université de Montréal). Repéré à http://hdl.handle.net/1866/21242

[2] Ces catégories recoupent en bonne partie celles retenues par Marie-Pierre Boucher dans son mémoire de maîtrise (Boucher, 2009, p. 13-14).

[3] Lemay, Y. et Klein, A. (dir.). (2016). Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique. Cahier 3. Montréal, QC : Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI). Repéré à https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/16353/lemay_yvon_klein_anne_collaborateurs_archives_creation_cahier3.pdf?sequence=1&isAllowed=y

Lemay, Y. et Klein, A. (dir.). (2015). Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique. Cahier 2. Montréal, QC : Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI). Repéré à http://hdl.handle.net/1866/12267

Lemay, Y. et Klein, A. (dir.). (2014). Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique. Cahier 1. Montréal, QC : Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI). Repéré à http://hdl.handle.net/1866/11324

[4] Carbone, K. M. (2017). Artists and records: moving history and Memory. Archives and Records, 38(1), 100-118. Repéré à 10.1080/23257962.2016.1260446

Une réflexion sur “Série nouveaux regards : l’exploitation des archives à des fins de création

  1. Bien intéressant. Et qui sait? Peut-être que le réemploi artistique des archives devrait prendre sa place en bonne et due forme dans les critères d’évaluation des archives!

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