Profession

Le rôle social de l’archiviste

Par Gabriel Khoueiry et Marc-Antoine Biouele, étudiants à l’EBSI (Université de Montréal)

Les nouvelles manœuvres rendues possibles par l’ère numérique ont permis de multiplier la quantité d’information consignée produite, par notre époque. Parallèlement, il semble que la place de l’archiviste en société soit devenue d’autant plus importante que ne le suggère cette abondance. Or, si le travail de l’archiviste connaît aujourd’hui une portée multidimensionnelle, le texte suivant examinera la facette sociale de son rôle, plus spécifiquement au Québec. On présentera d’abord sa mission sociale officielle, telle que décrétée par le code de déontologie de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), avant d’en développer les points essentiels. On couvrira ensuite d’autres rôles qu’occupent l’archiviste et qui comportent par extension, une utilité sociale remarquable.

La mission sociale de l’archiviste selon le code déontologique de l’AAQ

Forcément, la formalisation de la vocation de l’archiviste doit se trouver au fondement de notre synthèse des retombées sociales de son travail. La consultation du code de déontologie de l’Association des archivistes du Québec nous permet d’épurer les points incontournables de sa fonction sociale. À ce sujet, le code nous informe de trois grandes contributions essentielles qui constituent la « mission sociale l’archiviste » (AAQ, 2020, page 4). La première contribution est celle qui a trait « au maintien et au développement de la démocratie » (AAQ, 2020, page 4), qui sera développée dans la section prochaine. Ensuite, le code évoque la « constitution de la mémoire collective » et son intégration dans la culture et la société, que nous présenterons plus bas. (AAQ, 2020, page 4)

Maintien et développement de la démocratie

De plusieurs manières, l’archiviste participe à entretenir la qualité de la démocratie, autant sur le plan individuel que collectif. Concrètement, en exerçant ses tâches liées à la conservation et à la gestion de l’accès à l’information, l’archiviste permet de protéger et de garantir les droits et la vie privée des citoyens. Par exemple, en gérant des documents semi-actifs d’ordre juridique, tels que des livres de lois, et en s’assurant de leur préservation, il maintient leur valeur de référence et d’autorité sur le domaine de la justice; sur la vie et le sort des gens. À plus grande échelle, la conservation des documents constitutionnels sont aussi essentiels pour entretenir et stabiliser la reconnaissance des fondements du régime démocratique. De plus, étant donné que le respect de la vie privée et la protection des données personnelles font partie du nouveau crédo fondamental de la pensée démocratique (Fourets, 2005, page 94), l’archiviste joue un rôle capital à ce sujet, en tant que gardien de la confidentialité. C’est le cas puisqu’il s’assure de contrôler adéquatement l’accès à l’information (Baillargeon, 2005-2006, page 26). On peut donc lui reconnaître la responsabilité de « défendre le meilleur équilibre possible entre les intérêts divergents qui se manifestent autour des archives » (Wenglenski, 2022, page 5), équilibre mesuré à l’aune des principes démocratiques. En effet, l’archiviste joue un rôle dans l’élaboration même des lois en vérifiant leur compatibilité avec à la fois les capacités archivistiques et les restrictions éthiques démocratiques (Wenglenski, 2022, page 5). Plus encore, lorsque l’archiviste opère à rendre confortable et commode l’accès à l’information, il contribue au processus de formation de l’opinion des citoyens et donc, en dernière instance, au vote éclairé, qui est indispensable à une démocratie fonctionnelle.  On peut noter, sur le même fil d’idées, que les archives confèrent une valeur d’objectivité à certaines informations, en les érigeant au statut de « connaissance ». Cette fonction aide à prévenir les glissements relativistes extrêmes, risque planant dans les cultures démocratiques qui carburent au débat public. Sans le tronc commun  des archives, cela peut entraîner une perte de sens collectif.

Constitution de la mémoire collective

Le deuxième devoir social énoncé par le code est la responsabilité de l’archiviste de constituer la mémoire collective. En effet ce rôle de l’archiviste est surtout lié à son devoir primaire de conservation et de classification des archives. Notamment, le professionnel se doit d’élaborer des plans nécessaires à la classification ainsi que des calendriers de conservation. (Wenglenski, 2022, page 7) Cette tâche est prescrite à l’archiviste par la Loi sur les archives (1983) et la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. (Wenglenski, 2022, page 7) En d’autres mots, il fait partie du devoir de l’archiviste de définir ce qui sera intégré dans la mémoire, dans le souvenir, dans l’héritage d’une organisation ou d’une nation, mais aussi de définir la manière dont le tout sera ordonné. En prenant le soin de préciser quels documents, quelles données seront intégrées dans les fonds d’archives, mais aussi en les contextualisant, les archivistes sont en quelque sorte les architectes de la mémoire de l’organisation et de la nation. En alliant ces méthodes rigoureuses de dénomination, de classification, de documentation, de conservation, la mémoire se retrouve adéquatement préservée.

Même s’il n’est pas toujours aussi visible, l’archiviste a un rôle essentiel dans la société. CC BY-NC-ND 2.0 SOURCE

Intégration de la mémoire dans la culture et la société

Pour sceller ce double rôle social lié à la démocratie et à la mémoire, on retrouve comme troisième élément, l’incorporation de ladite mémoire dans le produit socioculturel. De manière plus prégnante, on peut dire que le travail de l’archiviste constitue un véritable pilier de la construction de l’identité d’une nation. En effet, le bagage identitaire est un construit évolutif qui s’enracine dans un héritage historique, converti en patrimoine, lui-même inhérent à la valorisation et à la vitalité de l’identité (Pinard, 2016, page 16). Et justement, selon la Loi sur la patrimoine culturel (2011), « [l]es archives sont considérées comme des documents patrimoniaux. » (Wenglenski, 2022, page 19). Ce rôle social est d’autant plus fondamental qu’il constitue une mission propre de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à qui la Loi sur les archives consacre « son rôle traditionnel de gardien du patrimoine archivistique de la nation du Québec » (Wenglenski, 2022, page 9). Deuxièmement, en intégrant, la mémoire dans la sphère culturelle de la nation, c’est le portrait de cette dernière que l’archiviste édifie. En effet, il fait partie intégrante du travail de l’archiviste de faciliter l’accès à la mémoire en développant des méthodes de classification correspondant aux réflexes de recherche de l’époque. Cela permet de rendre les considérations mémorielles solubles à la pensée de la masse. Ainsi, en réussissant à embarquer cet élément dans le train incessant de la culture et dans le domaine public, l’archiviste participe à la consolidation d’une identité qui s’autogénère finalement, grâce à sa contribution.

Autres rôles comportant une utilité sociale

Au Québec, il est courant de reconnaître un triple rôle de l’archiviste : culturel, comme nous l’avons abordé à travers les missions évoquées par le code déontologique, mais aussi administratif et scientifique. (Wenglenski, 2022, page 7) Ces deux dernières fonctions représentent aussi un objet d’intérêt pour notre réflexion puisqu’ils sous-tendent une praticité sociale également.

Rôle administratif

Premièrement, parmi les tâches confiées à l’archiviste, on retrouve la conception de plans et de calendriers de classification pour les archives en phase actives et semi-actives. (Wenglenski, 2022, page 7) Dans un contexte où les supports gouvernementaux se numérisent, on parle de plus en plus de divulgation automatique de l’information, méthode émergente avec laquelle les archivistes doivent composer. (Baillargeon, 2005-2006, page 27) Ainsi, en travaillant main dans la main avec des experts d’autres sciences de l’information, ils exercent une facette de leur rôle social qui consiste à rendre plus efficiente l’activité administrative à l’interne ainsi que la relation de diffusion avec l’externe. (Wenglenski, 2022, page 7)

Rôle scientifique

Deuxièmement, le rôle scientifique de l’archiviste comporte une utilité sociale en ce qu’il permet d’ériger certaines connaissances en vérités collectives. En contextualisant les archives et en les classifiant dans un ordre approprié et logique, l’archiviste appose une reconnaissance symbolique à la véracité d’un certain récit, dans le cas de la mémoire par exemple, ou d’autres informations. Cette étampe de factualité conférée par les archives, façonne les conceptions sociales de l’officialité et peut aider à déboucher sur des consensus. Aussi, le travail archivistique, en soumettant l’information à une chaine opérationnelle rigoureuse, consiste en un processus d’authentification de la matière traitée. En certifiant ainsi la valeur des archives, qu’elles soient définitives (historiques) ou semi-actives (juridiques, par exemple), l’archiviste intervient de manière chirurgicale dans la vie sociale et l’imaginaire collectif. L’utilité sociale du rôle scientifique se manifeste également dans la section traitant du maintien de la démocratie. On peut donc rappeler le lien de ce rôle épistémologique de l’archiviste avec la nécessité de trouver des bases de connaissances communes pour un débat démocratique sain et une concordance entre chercheurs. (Wenglenski, 2022, page 7)

Cela dit, le rôle social de l’archiviste québécois à notre époque se décuple en plusieurs facettes dont trois des plus fondamentales sont intégrées dans le code déontologique de l’AAQ, en tant qu’objectifs à poursuivre. Il s’agit d’abord de seconder la démocratie en veillant à la santé de ses principes et processus; d’organiser, de classer, de conserver, voire de construire la mémoire de la nation; puis, d’imprégner la culture de ce bagage mémoriel en en favorisant l’accessibilité. Au-delà de ces rôles sociaux formels de l’archiviste, on lui constate également des rôles administratif et scientifique aux retombées sociales précieuses : dans le premier cas, une amélioration de la productivité et une fluidification des activités des organisations; enfin, une valeur ajoutée de crédibilité sur l’information tirée des archives.

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*Ce billet est une version rehaussée d’un travail qui a été réalisé à l’EBSI, Université de Montréal, dans le cadre du cours ARV1050 Introduction à l’archivistique donné au trimestre d’automne 2022 par Virginie Wenglenski.

Sources consultées

Baillargeon, D. (2005-2006). La déontologie du métier d’archiviste. Revue archives, 37 (1), 3-32.

Code de déontologie de l’Association des archivistes du Québec. (2020, 2 décembre). Association des archivistes du Québec. https://archivistes.qc.ca/wp-content/uploads/2016/11/CodeDeontologie_2016.pdf

Fourets, F. (2005). La protection des données, ou le symbole d’une démocratie nouvelle: Le contrôle de la CNIL. Informations sociales, 126, 94-103. https://doi.org/10.3917/inso.126.0094

Pinard, J. (2016). Patrimoine et identité territoriale face à la modernité: L’exemple de la région du Shekhawati. Population & Avenir, 729, 14-16. https://doi.org/10.3917/popav.729.0014

Wenglenski, V. (2022, 5 octobre). Module 5 – La législation archivistique [notes de cours]. Département de Bibliothéconomie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/pluginfile.php/7479071/mod_resource/content/8/PDF_module_05corrig%C3%A9.pdf

Wenglenski, V. (2022, 12 octobre). Module 6 – . La profession d’archiviste [notes de cours]. Département de Bibliothéconomie, Université de Montréal. StudiUM. https://studium.umontreal.ca/pluginfile.php/7479078/mod_resource/content/3/PDF_module_06.pdf

3 réflexions sur “Le rôle social de l’archiviste

  1. Bonjour !
    Ravis de cet article à la fois simple, concret et digeste. Je suis Monsieur NGAKO, Archiviste en herbe.
    Svp j’aimerais avoir des vidéos ou tout autres documents liés à la pratique archivistique. Merci d’avance et
    À bientôt !

  2. Bonjour à vous, Moi c’est Mme kanga, Conservateur d’archives dans un musée en Côte d’Ivoire,juste vous féliciter et vous dire que vous faites un travail remarquable…. Je voudrais m’imprégner davantage de ce que vous faites.

  3. Félicitations pour ce texte inspiré et inspirant. Vous avez fort bien mis en évidence la place de l’archiviste dans la société contemporaine. Ce texte devrait inspirer les jeunes et moins jeunes archivistes qui éprouvent des difficultés à bien appréhender leur rôle social.

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