Congrès/Numérique

Le Chronoscope : résultats préliminaires de l’expérimentation d’une plateforme collaborative dans la mise en valeur du patrimoine archivistique du Québec

Dans le cadre du projet Reporteurs étudiants 2019, nos reporteurs ont eu, entre autres, à rédiger des comptes rendus de conférences. Ce compte rendu a été rédigé par Simon-Olivier Gagnon.

Conférence : Le Chronoscope : résultats préliminaires de l’expérimentation d’une plateforme collaborative dans la mise en valeur du patrimoine archivistique du Québec

Conférenciers : Jérôme Bégin (Ville de Québec), Louis-Pascal Rousseau (École nationale d’administration publique), David Camirand (Ville de Québec) et Myriam Claveau (Ministère du Conseil exécutif).

La présentation du Chronoscope est une des conférences qui a retenu le plus mon attention lors du dernier congrès de l’AAQ. Le Chronoscope est une plateforme d’indexation en ligne où les citoyens sont invités à contribuer à la description d’images venant de divers fonds d’archives institutionnels et privés. Ainsi, à travers cinq verbes d’action (catégoriser, identifier, dater, situer, commenter), les participants peuvent enrichir les photos d’archives d’une description et de métadonnées.

Les missions disponibles jusqu’à présent, qui donnent accès à plus de 3000 photos, permettent de visiter les fonds d’archives de partenaires institutionnelles (Villes de Québec et de Gatineau, BAnQ, ENAP, McGill), de partenaires médias (Le Soleil) et de partenaires communautaires (l’Îlot Fleurie). Situées dans trois villes québécoises (Québec, Montréal et Gatineau), les missions proposées portent sur des thématiques pointues, bien définies, par exemple « Les groupes sportifs de Gatineau », « Québec à l’époque du tramway » ou encore « Monuments de Montréal ».

Comme le dit Jérôme Bégin, directeur de la Division de la gestion des documents et archives à la Ville de Québec, « le Chronoscope existe déjà sur Facebook, c’est juste que l’on n’est pas capable d’en extraire les résultats ». La présentation vidéo du projet commence justement en soulignant cet aspect :

« Chaque année des milliers de photos sont partagées sur les réseaux sociaux, comme Facebook. Ce partage génère des milliers de commentaires au sein du grand public. Imaginez si on pouvait harnacher toute cette mémoire collective et l’envoyer aux centres d’archives de manière à ce qu’elle puisse être intégrée au patrimoine collectif. C’est ce que propose le Chronoscope. »

Les résultats de cette participation collaborative avec les utilisateurs peuvent ensuite être exportés de la plateforme et réintégrés au sein d’une collection ou d’un fonds d’archives. C’est là tout l’intérêt pour les centres d’archives.

En plus de servir à la promotion du projet et au recrutement de participants, cette vidéo fait office de tutoriel pour aider les néophytes à se familiariser avec la plateforme collaborative. Les concepteurs du projet sont conscients de l’importance que l’interface soit conviviale, car plusieurs missions thématiques s’adressent à des personnes âgées – il faut avoir un certain âge et une certaine connaissance de lieux pour indexer des photos des années 1970 et 1980. L’interface du Chronoscope est suffisamment « amicale envers l’utilisateur » pour pallier à la fracture numérique générationnelle. Et comme ceci a été mentionné pendant la conférence, après le recrutement de participants, le défi est d’animer la communauté pour faire en sorte que les utilisateurs, peu importe leur âge, ne se limitent pas à une « lecture seule », mais qu’ils s’engagent et trouvent un intérêt à prolonger leur participation.

En plus de l’animation de la communauté avec les médias sociaux, le comité directeur du projet est responsable de la conception, du développement et de l’expérimentation avec les fournisseurs de contenus et les utilisateurs. Une de leurs visées est de mesurer la qualité des contributions citoyennes et l’investissement nécessaire en ressources humaines pour susciter l’engagement des participants. Les résultats attendus permettront d’éclaircir trois phénomènes émergents dans la gestion des documents historiques en contexte numérique : 1) « la démocratisation des pratiques en archivistique » 2) « la validation de la qualité des contenus historiques par une communauté d’amateurs » et 3) « l’intégration des contributions citoyennes dans le fonctionnement des institutions et services d’archives ».

En concluant l’exposé de leur projet, un des responsables a pris le temps de présenter quelques exemples de contributions citoyennes. Sur une photo des années 1960 de la rue Saint-Jean à Québec, un participant a commenté : « On y voit la pharmacie Simard ainsi que le magasin de fourrure J.B. Pelletier Ltee. On y voit aussi des voitures ainsi qu’un camion de livraison de la Boulangerie Gerbe d’Or ». Un intérêt de cette description bonifiée par l’utilisateur est qu’il sera possible a posteriori de rechercher par mot-clé le nom du magasin de fourrure ou de la boulangerie et d’en arriver à un résultat, à cette photo d’archives.

Dans d’autres cas, l’utilisateur laisse des traces de sa démarche, il précise là où il a trouvé de l’information à propos de la construction d’un bâtiment et de la réfection d’une route. Par exemple, dans la mission « Le boulevard Charest », l’utilisateur aux initiales JPB mentionne ceci en date du 3 juin 2019 : « Je peux dater le prolongement du boul. Charest, mais on voit le clocher de l’église Notre-Dame-de-Lourdes, coin Mazenod et Hermine, démolie pour faire place au centre d’hébergement du même nom ». Ce sont certes des informations qui sont connues, mais celles-ci sont dorénavant liées spécifiquement à un document numérisé, et ce, grâce à l’intelligence collective (crowdsourcing).

Parmi les exemples de plateforme d’externalisation ouverte, ce projet d’indexation collaborative est un cas de figure intéressant pour l’archivistique québécoise. Encore faudra-t-il que le développement du projet soit soutenu à long terme par des institutions, par exemple par BAnQ ou le Réseau des services d’archives du Québec (RAQ). « Il va falloir trouver une piste d’atterrissage qui n’est pas un projet de recherche, a dit Jérôme Bégin, parce qu’une université c’est une très mauvaise place pour garder un projet vivant ». Les centres d’archives ont intérêt à expérimenter avec cette plateforme non seulement pour la diffusion et la promotion de leurs fonds d’archives, mais pour renouveler leur clientèle (érudite traditionnelle) et s’ouvrir à un plus grand public d’usagers potentiels. L’équipe du Chronoscope, dont le directeur du projet Christian Boudreau, a aussi prévu d’expérimenter dans des cours d’histoire de niveau primaire et secondaire.

Par delà la phase d’expérimentation avec les citoyens et en milieu scolaire, cette plateforme vise à ce que des utilisateurs et des centres d’archives puissent déposer un fonds d’archives, conceptualiser une thématique ainsi qu’une mission et faire décrire les images numérisées par la population. Pour le moment, les fournisseurs de contenus ne peuvent pas créer par eux-mêmes des missions, mais tel est une des prochaines phases de développement du projet qui nécessite d’autres financements.

Avec toute cette rhétorique des tournants qui est dans l’air du temps – tournant spatial, tournant archivistique, tournant numérique – le Chronoscope est un cas de figure concret, local et financé qui relève du paradigme des humanités numériques. En plus de cela, il est au service des institutions. En fait, c’est seulement après sa phase d’expérimentation qu’il sera véritablement au service des institutions patrimoniales. D’ici là, il est possible d’y participer et de voir concrètement, à chaque contribution, comment la pratique archivistique continue de se renouveler dans l’environnement numérique.

Une réflexion sur “Le Chronoscope : résultats préliminaires de l’expérimentation d’une plateforme collaborative dans la mise en valeur du patrimoine archivistique du Québec

  1. Merci monsieur Gagnon pour cet excellent compte rendu de conférence. Je tiens à souligner que ce projet de recherche unique au Québec, et dont j’assure la direction, a été rendu possible grâce un financement du FRQSC accordée à l’ÉNAP. Encore un gros merci. Christian Boudreau Ph. D. Professeur à l’ÉNAP.

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