Vie d'archiviste

Vie d’archiviste : René St-Pierre

Vie d’archiviste est une série de billets où des collègues archivistes sont invités à nous raconter leur parcours académique et professionnel tout en discutant des implications de la pratique de leur profession au quotidien. Cette semaine, nous allons à la rencontre de René St-Pierre, archiviste à la Fondation Armand-Vaillancourt.

Quel est votre parcours professionnel?

Suite à mes études, une maîtrise en communication multimédia et un doctorat en études et pratiques des arts, j’ai œuvré à titre d’archiviste à la Fondation Armand-Vaillancourt depuis 2016 où j’ai notamment développé la plateforme Archiv’ART, un outil de gestion documentaire et d’archives pour le domaine de l’art, de la culture et de l’éducation. En 2018, j’ai entrepris le programme de maîtrise en histoire de l’art de l’UQAM. Mon projet de mémoire explore les potentialités des catalogues raisonnés et de collections en format numérique. Cette formation complémentaire vise à enrichir mon travail  au sein du centre d’archives de la Fondation Armand-Vaillancourt. Je poursuis une démarche de recherche et de création à l’aide des technologies numériques depuis plus d’une vingtaine d’années pour les secteurs de la culture, de l’éducation et des affaires.

Avez-vous exercé d’autres métiers avant de devenir archiviste?

Avant de devenir archiviste, J’ai œuvré à titre de réalisateur web/multimédia pendant une quinzaine d’années où j’ai notamment participé à la conception et la production de documents audiovisuels, d’installations médiatiques, de bornes interactives, de cédéroms et de sites Web. Durant ce parcours, j’ai exploré l’orchestration musicale assistée (MIDI), la technique de scène et autres évènements multimédias pour le secteur culturel et corporatif. Parallèlement à ce travail, j’ai aussi œuvré pendant 10 ans dans l’enseignement au niveau collégial et universitaire (design et technique de conception/production multimédia) ainsi que dans le secteur de la formation professionnelle.

Pourquoi avoir choisi cette profession? Quelle était votre motivation, qu’est-ce qui vous attirait dans le métier?

À la fin des années 1990, j’ai complété un mémoire de maîtrise en communication à l’UQAM, lequel prenait la forme d’un portrait multimédia présentant des aspects de la vie et de l’œuvre du sculpteur Armand Vaillancourt. En 2012, Vaillancourt me contacte et me demande de réaliser un site web présentant ses œuvres, son portfolio. Étant conscient que ses archives personnelles contenaient une mine d’informations sur sa vie et son œuvre, mais aussi sur tout un pan de l’histoire culturelle et sociale du Québec moderne (75 mètres linéaires de documents textuels et iconographiques, et plus de 300 heures d’écoute de documents sonores et audiovisuels), je lui ai alors proposé de réaliser un site web au croisement du portfolio d’artiste et du centre de documentation numérique. Cette réflexion a éventuellement conduit à la création du projet Archiv’ART (www.archivart.ca), une base de données relationnelle dédiée à la création de catalogues numériques permettant d’exploiter et de mettre en valeur la documentation et les archives d’un artiste. De plus, mon parcours professionnel dans le domaine de la production multimédia m’habilitait tout naturellement à gérer des quantités importantes de documents et d’archives provenant de multiples supports analogiques et numériques. Mes compétences informatiques combinées à mon grand intérêt pour l’art et la culture annonçaient alors pour moi une nouvelle carrière et un tout nouveau terrain de jeu à découvrir et à explorer.

Quelle est votre routine habituelle?

Lorsque l’on travaille avec un artiste de la trempe de Vaillancourt, rien n’est routinier, en ce sens, toutes les journées sont atypiques. On peut s’attendre à tout et à n’importe quoi à la fois…du moins c’est mon expérience personnelle. Je rentre le matin et m’occupe d’une partie des archives courantes, soit le classement des courriels. J’ai à répondre, dans le désordre, à toutes sortes de demandes : dons d’œuvres pour des organismes de charité, demandes d’authentifications ou suivi d’œuvres en vente aux enchères, dans des galeries ou par des particuliers, support informatique, numérisation, traitement infographique, rédaction de correspondances entre l’artiste et différents intervenants du milieu de l’art. L’après-midi, je plonge dans les archives historiques, mon terrain de jeu préféré puisqu’il me permet de mieux comprendre comment les choses se passaient à une autre époque. Je suis fasciné par l’histoire, car celle-ci nous aide à mieux comprendre qui nous sommes et permet d’un peu imaginer vers où nous allons…

René St-Pierre, archiviste

Avez-vous des anecdotes ou des situations cocasses qui vous sont arrivées au travail?

Ce qui me fascine de ce métier de l’ombre qu’est celui de l’archiviste, c’est les incroyables découvertes que l’on peut y faire au détour de l’ouverture d’une boite d’archives n’ayant pas encore été inventoriées ou encore d’approfondir la compréhension de documents n’ayant pas encore été indexés dans la base de données.

Aussi, avec les réseaux sociaux, on reçoit toutes sortes de demandes de consultation concernant nos archives iconographiques…Je pense notamment à celle de ce Monsieur qui avait acheté une unité de rangement à l’encan et qui, à sa grande surprise, a retrouvé une sculpture de Vaillancourt dans le fond d’un des tiroirs. L’œuvre avait appartenu à un collectionneur aujourd’hui décédé, mais sa succession n’avait pas cru bon regarder ce qu’il y avait dans le meuble avant de le mettre en vente. Ce Monsieur ne connaissant pas trop l’art abstrait voulait savoir si cet objet bizarre avait de la valeur….

Une autre histoire surprenante ? Il y a environ 5 ans, nous avons été mis au fait de la vente aux enchères chez IEGOR d’un ensemble d’œuvres en métal soudé datant du début des années 1960. Nos archives nous on permis de découvrir que ces sculptures, créées par Vaillancourt, avaient été présentées à Hydro-Québec en 1961, dans le cadre d’un concours public visant à doter l’entreprise d’une œuvre d’art pour son siège social du boulevard René-Lévesque à Montréal. Avec sa belle murale lumineuse, que l’on peut encore apprécier aujourd’hui, c’est plutôt l’artiste Jean-Paul Mousseau qui avait gagné le 1er prix à ce concours. Conservées par Hydro-Québec pendant près de 20 ans, ces maquettes d’œuvres se sont mystérieusement retrouvées dans la succession d’un directeur de la société d’État qui y avait travaillé au courant des années 1980.  Autres temps, autres mœurs….

Avez-vous connu des changements marquants au sein de votre profession au cours des dernières années? Lesquels?

 Les réseaux sociaux et la correspondance par courriel ont littéralement changé la manière de documenter la vie et l’œuvre de l’artiste, plus particulièrement depuis le début des années 2000. Traditionnellement, Vaillancourt recevait par la poste des invitations ou correspondances variées provenant d’autres artistes, d’organismes ou institutions culturelles, de fournisseurs, clients, etc. Mais maintenant, toutes ces archives sont presque exclusivement générées par les courriels. De plus, la masse d’information à gérer s’est multipliée de manière exponentielle, si ce n’est, en surplus des courriels, de toutes ces listes de diffusion et infolettres auxquelles l’artiste est abonné et par lesquelles il peut demeurer en contact avec le milieu culturel, social et politique. Les réseaux sociaux ont aussi permis à Vaillancourt de le mettre en relation avec d’anciennes connaissances personnelles et professionnelles et conséquemment de faire apparaître des archives exceptionnelles détenues par ces personnes ou organisations, notamment des photos d’œuvres, des performances sur cassettes vidéo ou sur pellicule 16 mm, des éphémères d’expositions, de la correspondance privée, etc. La production participative (crowndsourcing) alimente et enrichit maintenant nos archives de manière continue. Une autre constatation importante : les correspondances numériques semblent beaucoup plus riches que les correspondances traditionnelles (par la poste) puisqu’elles préservent plus facilement l’aspect bidirectionnel des échanges tout en permettant d’adjoindre et de recevoir de la documentation multimédia (images, segments audio, vidéo, fichiers natifs numériques, etc.). La masse d’information à gérer demande donc maintenant d’élaborer des stratégies de classement et d’indexation beaucoup plus précises si l’on veut faciliter le repérage des documents.

Que faites-vous pour maintenir à jour vos connaissances et votre expertise?

 J’assiste régulièrement à des ateliers ou rencontres de perfectionnement professionnel organisés par l’AAQ où la Société des Musées du Québec (SMQ). Je m’implique aussi dans la communauté des archivistes, par exemple, de 2017 à 2019, j’ai participé au comité de la main-d’œuvre en archivistique du comité directeur sur les archives canadiennes[1]. J’ai aussi eu l’honneur et le privilège de bénéficier pendant plus de trois années (2016-2019) du mentorat de Carol Couture (programme Soutien aux archivistes de l’AAQ). Ses précieux conseils ont contribué à consolider et enrichir ma conception du métier d’archiviste et de la fonction essentielle que ce travail représente. Je m’intéresse aussi à tout ce qui concerne la mise en valeur des archives à travers la médiation numérique. Enfin, puisque le métier d’archiviste intègre maintenant une part importante de compétences informatiques, j’assiste à différents séminaires permettant de mieux comprendre différents concepts porteurs, notamment le web sémantique ou web des données ouvertes et liées.

Qu’est-ce que vous voudriez partager avec quelqu’un qui désirerait entreprendre des études en archivistique?

 Je constate qu’il y a souvent une vision romantique du travail d’archiviste, soit celui de cette personne ayant à traiter des documents rares et anciens ayant une grande valeur historique ou patrimoniale. La réalité du marché de l’emploi est qu’il s’agit souvent d’avoir à traiter des masses considérables de documents administratifs  courants, d’où une certaine confusion avec la fonction de la gestion documentaire. Une exploration préalable des profils de sortie pour les métiers d’archiviste, de technicien en documentation ou de gestionnaire de systèmes d’information serait utile pour mieux comprendre le domaine et ses enjeux. Par ailleurs, il est aussi possible d’appréhender le métier dans l’idée d’une progression professionnelle débutant par la technique pour éventuellement se diriger vers la gestion de l’information et des connaissances.

Comment décrivez-vous votre métier à des non-archivistes ?

L’archiviste est la personne qui conserve et rend accessible les traces d’activités personnelles et professionnelles d’une personne ou encore des activités liées à une entreprise, une organisation ou une institution. Cette personne doit œuvrer dans un environnement technique ou les ressources humaines, matérielles et financières sont souvent très limitées. C’est un métier fascinant, surtout s’il permet de mettre en valeur les archives traitées dans des projets de médiation culturelle ou numérique.

Selon vous, quel est l’apport des archivistes à la société ?

Les archives sont les traces de notre histoire, de notre identité culturelle, sociale et politique. On dit souvent qu’on peut juger de la qualité d’une société selon la manière qu’elle s’occupera de l’éducation, de la culture et de la santé de ses habitants. J’ajouterais à cela quelle doit aussi aussi accorder une grande importance à la préservation de sa mémoire, donc à la sauvegarde, à l’accès et à la mise en valeur de ses archives.

[1] https://lesarchives2026.com/archival-workforce/

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