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Retours et détours autour de la diffusion: Compte-rendu du 9e symposium du GIRA

Par Kate Nugent

Compte-rendu du 9e symposium du Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA)

Le 24 mars dernier s’est déroulé le 9e symposium du Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA) qui, cette année, a eu comme thème Retours et détours autour de la diffusion et a accueilli des présentations d’archivistes, généalogistes, doctorant.e.s et professionnel.le.s dans le milieu archivistique francophone au Canada et à l’international. Mettant en valeur des projets inter- et pluridisciplinaires, le symposium a touché une diversité de sujets qui ont approfondi le concept de la diffusion et ont proposé des nouvelles approches au travail archivistique.

Conférence d’ouverture

Norman Charbonneau, bibliothécaire et archiviste du Canada retraité, a ouvert le symposium avec sa présentation intitulée Concepts à revoir ou à intégrer : les mots de la diffusion. Sa présentation a mis en lumière plusieurs thèmes qui ont été repris par les autres conférencier.ère.s, dont la nécessité d’une archivistique ouverte, relationnelle et autocritique qui favorise l’inclusivité et appuie les changements sociaux. Ses propos s’inscrivent dans une archivistique critique qui s’impose depuis quelques décennies, remettant en question le rôle traditionnel des archives dans la société. Une archivistique critique et progressiste requiert entre autres la décolonisation de nos méthodes archivistiques, par exemple par des projets de redescription de fonds d’archives ou par la diversification de collections. Charbonneau souligne que tout travail archivistique repose sur des relations, que ce soit avec des personnes ou des communautés, et que chacune de ces relations offre une occasion d’apprentissage et de partage. Pour en revenir au titre de sa présentation, le concept à revoir est donc celui de la diffusion lui-même : en priorisant la notion de relation, on encourage un environnement de collaboration et, enfin, de réciprocité. Si on considère que la relation est au cœur de la diffusion, on réalise alors que celle-ci est un point de rencontre et non une simple transmission.

Archives et écritures de l’histoire

La présentation de Charbonneau a été suivie par deux conférences sur le thème Archives et écritures de l’histoire. La première, intitulée Implication de la communauté généalogique dans la diffusion des archives, a été présentée par Sophie Boudarel, généalogiste professionnelle. Boudarel a fait état de l’implication de la communauté généalogique dans la diffusion des archives, se concentrant surtout sur les recherches collaboratives qui se passent sur la plateforme Twitter ainsi que sur son blogue, La Gazette des ancêtres. Elle a discuté de son projet annuel « ChallengeAZ », dans le cadre duquel des généalogistes sont encouragé.e.s à publier sur leurs blogues un article par jour sur le thème de la généalogie ou de l’histoire familiale. La communauté généalogique fait usage des réseaux sociaux pour partager et se questionner sur leurs trouvailles, enrichissant le contexte des documents d’archives par leurs échanges et leur collaboration — finalement, par la diffusion. Ces échanges sur les réseaux sociaux démontrent également un intérêt grandissant pour les archives de la part d’un public « plus spécialiste et plus demandant », ce qui peut, en conséquence, poser des défis pour certains services d’archives de plus petite taille. En outre, ceci évoque les attentes croissantes des usager.ère.s de l’ère numérique, qui souhaitent pouvoir accéder à des documents d’archives en un simple clic.

La deuxième présentation de cette sous-thématique, intitulée L’accessibilité aux archives : des enjeux en contexte anicinabe, a été offerte par Julie Lise Simard, étudiante au doctorat en sciences de l’information à l’Université de Montréal, et Amélie Brassard, chargée du projet Nipakanatik et gestionnaire de projet chez Minwashin. Leur conférence a mis en relief le développement de la bibliothèque virtuelle Nipakanatik, outil de préservation et de diffusion des archives de la Nation Anicinabe, et a souligné l’importance des archives comme outil d’autodétermination et de transmission culturelle, historique et patrimoniale. Simard et Brassard ont commencé leur présentation en discutant du besoin qu’elles avaient de redéfinir le concept d’archives dans le cadre de ce projet. Au sens Anicinabe, une « archive » n’est pas un objet, mais une personne — un témoin ou un gardien — et ainsi la notion traditionnelle (ou occidentale) d’archive devait être repensée. Au cœur de leur travail se trouve une sensibilité aux besoins de la Nation Anicinabe : il est impératif, pour elles, que le projet représente la communauté, soit accessible et pertinent, et soit géré par et pour les Anicinabek. Elles ont aussi souligné l’importance de développer un lien de confiance avec la communauté, surtout considérant le rôle traditionnel qu’ont eu les archives comme outil de pouvoir colonial. Les questions clés étaient donc : comment assurer la transmission de la culture, de l’histoire et du patrimoine à travers ce projet? Comment rendre ces archives accessibles à toute la Nation Anicinabe?

Il était encourageant de voir un projet qui est entièrement adapté à une communauté et à ses valeurs et qui applique les principes de la décolonisation. Les présentatrices ont traité du besoin d’utiliser les « bons mots » pour décrire et répertorier les archives dans la bibliothèque, afin de rendre la recherche simple, accessible et culturellement pertinente. Pour ce faire, elles ont créé un schéma de description (adapté au Dublin Core) où les descriptions futures se feront en français, anglais et anicinabemowin. De plus, elles ont évoqué la nécessité de créer des cotes de sécurité pour des archives sensibles afin de respecter les valeurs de la communauté et leurs besoins. Par ailleurs, leur discussion des enjeux éthiques de la diffusion était très pertinente, car ces conversations sont en plein essor dans les théories archivistiques occidentales depuis les années 2010 et ce surtout dans la littérature anglophone.[1]

Archives et milieux communautaires

La sous-thématique suivante, Archives et milieux communautaires, comprenait deux présentations, l’une par Désirée Rochat, éducatrice communautaire et chercheuse transdisciplinaire, et l’autre par Simon-Olivier Gagnon, doctorant à l’Université Laval. Ces présentations ont mis en valeur une archivistique critique[2], communautaire[3] et militante[4] qui œuvre contre les injustices sociales, pour reprendre les termes de Désirée Rochat.

La présentation de Rochat, Bâtir des écosystèmes archivistiques (ou ce que l’archivistique et le travail communautaire peuvent apprendre l’un de l’autre), a mis en lumière ce que Charbonneau entendait comme « relationnalité » entre services d’archives et usager.ère.s. L’écosystème qu’elle a présenté sert de manière de réfléchir et non d’un plan à suivre : une approche interrelationnelle, complémentaire et communautaire qui œuvre à redistribuer le pouvoir et à créer de nouveaux espaces (géographiques et culturels, intra- et interinstitutionnelles). Elle a débuté sa présentation en discutant des limites de la reconnaissance du racisme anti-noir dans les sciences de l’information, soulignant la nécessité d’une transformation profonde des paradigmes dans la profession.[5] Cet appel au changement se fait l’écho des discours du milieu archivistique d’autres pays coloniaux comme les États-Unis, l’Afrique du Sud et l’Australie.[6] Rochat a ensuite présenté des archives communautaires de la communauté afro-montréalaise comme le Negro Community Center (NCC)[7] et la Maison d’Haïti, puis a tracé un écosystème d’acteur.rice.s, d’organismes et de créateur.rice.s de cet héritage — une constellation d’institutions noires montréalaises — afin d’illustrer le vaste réseau de connexions et de relations qu’entretiennent entre elles ces institutions. Le travail communautaire est ici la prémisse même de l’archivistique — autrement dit, les usager.ère.s devraient guider le travail archivistique à entreprendre. La présentation de Rochat a suscité beaucoup d’intérêt parmi l’assistance du symposium.

Simon-Olivier Gagnon a présenté la conférence Radiodiffusion, activisme et rediffusion d’archives radiophoniques : Le travail de la coalition Sortons les radio-poubelles dans la ville de Québec. Cette coalition gère un site web qui documente et archive les propos diffamatoires, la désinformation et l’incitation à la haine sur les ondes de diverses « radios poubelles » à Québec qui s’inscrivent dans le phénomène culturel de la « radio de la confrontation », dont le style « trash » est populaire aux États-Unis.[8] La popularité de ces émissions est évidemment préoccupante et la coalition lance des appels à l’action qui invitent le public à porter plainte contre ces discours discriminatoires, voire violents, afin de sensibiliser les annonceurs et le public. Les archives de Sortons les radio-poubelles, disponibles sur Internet Archive, servent d’une part comme preuve et d’une autre comme outil pour temporiser les faits et introduire de la matérialité dans ces extraits radiophoniques : ceux-ci étant préservés, il devient impossible de nier que de tels propos ont été diffusés. Gagnon remarque toutefois que ces archives, stockées sur Internet Archive, ont un caractère précaire et fragile, car elles dépendent de la plateforme qui les garde en ligne.[9] Ce projet renforce la fonction des archives comme (potentielles) preuves légales, comme témoignages historiques et comme outil de communication, de critique ou de sensibilisation.

Tout comme la présentation de Julie Lise Simard et Amélie Brassard, les présentations de Désirée Rochat et Simon-Olivier Gagnon ont mis en lumière une archivistique qui est centrée sur les communautés et la justice sociale ; certes, une archivistique qui confronte les structures archivistiques traditionnelles. Il s’agit d’un renversement nécessaire des pratiques archivistiques qui étaient (ou sont toujours) ancrées dans la pensée coloniale et hétéropatriarcale. Cette nouvelle approche est centrée sur des communautés, des personnes et leurs besoins, enfin elle est empathique et fondée dans une « ethics of care ».[10]

Le point de vue des institutions

Par la suite, Sophie Côté, archiviste-conseil à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), et Jasmine Bouchard, sous-ministre adjointe, Expérience des usagers et Mobilisation à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), ont présenté le sous-thème Le point de vue des institutions, abordant les projets de diffusion des institutions gouvernementales. Côté a discuté de la gestion documentaire et de la transformation numérique chez BAnQ, de la relation État/citoyen et de la valeur de la collaboration et du dialogue. En matière de gestion des documents d’organismes publics, BAnQ a la responsabilité d’encadrer, soutenir et conseiller ces organismes, en plus d’assurer la conservation, faciliter l’accès et favoriser la diffusion de leurs documents. En utilisant le système de santé comme exemple, Côté a souligné quatre catégories d’utilisation des documents : opérationnel (des professionnels consignent les symptômes d’un patient), exploitation massive (des analystes créent des indicateurs de performance), représentativité pérenne (études sociologiques sur les relations entre les citoyens et le système de santé) et communication proactive (des citoyens s’informent sur la nombre de patients dans les urgences). Ces quatre catégories sont réparties sur trois échelles d’utilisation : par le gouvernement, par le domaine des affaires et par les organismes publics. Selon Côté, dans le contexte de la transformation numérique chez BAnQ, il est essentiel de développer un système intégré qui est harmonisé aux priorités stratégiques de l’institution et qui est applicable à toutes les catégories et échelles d’utilisation énumérées ci-dessus. Le renouvellement de la gestion documentaire numérique repose donc sur le développement d’une compréhension partagée, d’une collaboration entre experts et d’un enrichissement des compétences par la consultation et le partage.

Bouchard a discuté de la diffusion chez BAC dans le contexte de leur récent projet d’expansion Ādisōke, une nouvelle installation partagée avec la Bibliothèque publique d’Ottawa (BPO). Ce nouvel immeuble (61% BPO et 39% BAC) devrait significativement augmenter le nombre de visiteur.euse.s à BAC. Ils estiment que près de la moitié des ces dernier.ère.s utiliseront les lieux pour la consultation, et que la majorité des usagers.ère.s sera composée de chercheur.e.s (34%) et de nouveaux publics (34%). Ces estimations résultent d’une importante analyse d’audiences qui a servi de mieux comprendre leurs clientèles actuelles et potentielles, et leurs besoins. Bouchard a également présenté les initiatives et appels à l’action de BAC qui ont résulté de la Commission de vérité et réconciliation. Parmi ces initiatives se trouve la création du Cercle consultatif autochtone, qui a été consulté dans le cadre de ce projet d’expansion. BAC a aussi organisé et sollicité un Conseil consultatif jeunesse pour comprendre, par exemple, quels objets ou expériences culturelles sont de valeur (leurs réponses ont inclus : des expositions d’art, le ludique, des romans qui abordent la culture, des expériences tactiles, et des expériences partagées). Enfin, pour résumer sa conférence, Bouchard a souligné la nécessité de tisser des liens avec les usagers.ère.s et communautés, que ce soit avec des comités pendant le développement du projet ou avec les usagers.ère.s une fois que les portes sont ouvertes.

Archives et représentation de soi

Les deux présentations de la sous-thématique Archives et représentation de soi sont restées dans le cadre de l’institution, mais ont abordé la diffusion des archives du point de vue des chercheur.e.s et des praticien.ne.s. Margot Georges, docteure en archivistique associée au laboratoire TEMOS de l’Université d’Angers, et Magalie Moysan, maîtresse de conférences en archivistique à l’Université d’Angers, UMR TEMOS, ont discuté de La diffusion des archives du point de vue des producteurs : Représentations et pratiques des chercheur.se.s en sciences du végétal et en sciences biomédicales. Leur recherche se concentre sur le partage et la diffusion de documents et de données dans les pratiques de recherche scientifiques, utilisant comme cadre de référence le Records continuum model (RCM). Dans les sciences du végétal, le partage et la diffusion des données de recherche se passe à trois niveaux : à l’appui des publications, par le versement dans des bases de données, et par la diffusion sur Internet par les chercheur.e.s. Dans le cycle de vie de ces données, la conception de mémoire devient polysémique : elle est à la fois individuelle et limitée aux chercheur.e.s, partagée parmi la communauté scientifique, et préservée dans la mémoire historique et collective. Cette notion de la mémoire polysémique se déplace dans le modèle du RCM de l’intérieur (la mémoire individuelle) vers l’extérieur (partagée avec la communauté scientifique et ancrée dans l’histoire). Autrement dit, selon une adaptation du RCM par Moysan, il y a un mouvement des données de l’interne qui sont recueillies, organisées et standardisées, vers l’extérieur où elles prennent des formes pluralisées avec un potentiel de réutilisation scientifique. Elles ont aussi discuté du modèle Open Access et de la réticence qu’ont parfois les chercheur.e.s envers ce modèle, étant donné que l’accès n’est pas véritablement « libre » (souvent publiée au frais du.de la chercheur.e) et que ces données peuvent poser problème si elles ne sont pas utilisées dans leur propre contexte.

Taïk Bourhis, directrice de la Division des archives et de la gestion de l’information (DAGI) de l’Université de Montréal, a présenté Penser la communication et la diffusion des archives stratégiquement. Elle a abordé le travail de la diffusion dans un contexte universitaire, ce qui se traduit avant tout par sa qualité de service à la communauté — d’ailleurs, la diffusion se trouve au cœur de leur planification stratégique 2022-2025. La mission de la DAGI est « d’assurer une gestion intégrée, saine et efficiente de l’information institutionnelle ainsi que de constituer, préserver et valoriser la mémoire de l’UdeM et de sa communauté. » Cette gestion ou archivistique intégrée se passe en trois étapes : la première est de constituer la mémoire de l’université par la formation, la promotion et la sensibilisation des clientèles face à la gestion de l’information, la deuxième est de préserver cette mémoire en démontrant son importance et en communiquant les besoins de la DAGI pour ce faire, et la troisième est de valoriser la mémoire de l’université en mettant en valeur leurs fonds d’archives et en diffusant le patrimoine archivistique. À tous ces niveaux, autant au niveau de la formation, de la gestion et de la diffusion, la communication et la collaboration entre la DAGI et ses diverses clientèles est significative et assure la pérennité de la mémoire de l’Université de Montréal. Bourhis souligne que la DAGI souhaite mettre de l’avant les valeurs de l’université dont la passion, l’ouverture, la responsabilité et le courage, ajoutant deux valeurs proposées par la DAGI : la collaboration et l’innovation. Parmi leurs priorités, nous trouvons des points qui relèvent de ces valeurs, dont accompagner leurs clientèles, participer à la transformation numérique de l’université, optimiser et mettre en valeur des archives historiques, et contribuer à la mise en œuvre du programme de gestion et de protection des renseignements personnels. Face à ces priorités, Bourhis cite deux défis dans la communication et la diffusion des archives : être présent et prendre part aux conversations, et s’adapter aux clientèles. Il est question d’équilibrer les demandes et attentes de la communauté avec la promotion et la communication des services. La solution : « Dans un service d’archives comme dans la vie, viser l’équilibre ! »

Archives et représentation de l’Autre

Le dernier sous-thème a été mis en valeur par quatre présentations. Diana Walton, doctorante à l’EBSI, s’est concentrée sur la valorisation des archives patrimoniales religieuses du Québec dans un contexte muséologique pour sa présentation La sélection des archives en contexte de valorisation patrimoniale. Elle a discuté de la valorisation d’archives et de la patrimonialisation d’objets muséaux qui sont alors perçus comme « porteurs de signification » — ces objets et archives, par leur diffusion, « produisent un gain de connaissance et maintiennent vivantes des significations associées à des biens culturels menacés de destruction ou en perte de pertinence ».[11] Elle a proposé le terme objet-archives dans ce contexte, qui émerge de sa perspective muséologique sur les archives.

Julia Minne, chargée de l’initiative Savoirs Communs du Cinéma à la Cinémathèque québécoise, et Élisabeth Meunier, directrice de la préservation et du développement des collections par intérim à la Cinémathèque québécoise, ont présenté Penser autrement la diffusion des données/archives cinématographiques : l’exemple de l’initiative Savoirs Communs du Cinéma. À travers le prisme des études féministes, elles se questionnent sur la représentation des cinéastes dans le contexte de technologies telles que le web sémantique. Elles ont soulevé l’enjeu du rôle de l’institution qui, souvent, s’approprie le monopole du savoir, alors que celui-ci se développe et s’épanouit dans les communautés. Ainsi, elles œuvrent à représenter les connaissances collectives ou marginalisées dans les données qu’elles enregistrent.

François Dansereau, directeur des Archives des jésuites au Canada, a présenté Espaces de diffusion et contextes numériques : Diffusion active, principes éthiques et développement de connaissances. Sa présentation a contribué au cadre théorique de la conférence, rejoignant le discours de Désirée Rochat. Il a discuté de multiples dialogues archivistiques et de la manière dont ceux-ci sont affectés par le médium de diffusion ou de consultation, soit les « interfaces et fenêtres archivistiques ». Il a discuté de la démocratisation de l’accès aux archives qui est notable à l’ère numérique et du profil de plus en plus hétérogène des usagers.ère.s, ce qui rappelle la présentation de Boudarel.[12] L’accès numérique a aussi fondamentalement changé notre relation avec ces archives et objets culturels qui sont disponibles derrière des écrans (interfaces et fenêtres). Des nouvelles formes de découvertes d’archives, en dehors des murs de l’institution, sont maintenant possibles, et ceci par des usager.ère.s de plus en plus indépendant.e.s. Une archivistique de plus en plus participative et dynamique émerge alors et, dans ce contexte, il faut porter attention aux enjeux éthiques du partage de contenus en ligne (on peut penser aux codes de sécurité du projet Nipakanatik). Ainsi, la qualité des descriptions archivistiques et des métadonnées est de prime importance et celles-ci doivent refléter les conversations et changements sociétaux.[13] Il faut continuer à questionner, réviser et mettre en contexte les instruments de recherche mis en ligne, et à porter un œil critique sur le contenu de nos collections. Pour en revenir encore au projet de Nipakanatik, comme l’ont souligné Simard et Brassard, la solution n’est pas d’effacer des descriptions passées, mais de les re-contextualiser et de créer une conversation entre le passé, présent et futur. Ultimement, il est impératif que les archivistes se questionnent sur les « portées coloniales, oppressives et racistes de certains contenus » et qu’il.elle.s s’engagent à avoir une écoute active.

La dernière présentation, Le Corps Archive : Un film né de la rencontre entre archives et danse, a été offerte par Anouk Dunant Gonzenbach, archiviste d’État adjointe aux Archives d’État de Genève. Le film retrace la création d’une œuvre chorégraphique proposée par Manon Hotte dans le cadre du centième anniversaire de l’Association des archivistes suisses. Le corps agit ici comme archive en soi : nos gestes, émotions et mémoires sont tous protégés par le corps qui les habite, et émergent avec le mouvement. Ce croisement d’affects se dévoile par la danse, qui elle transforme des gestes ordinaires comme les gestes d’archivage en processus de création. La performance de la chorégraphie a elle-même créé des archives, formant ainsi une boucle rétroactive. Dunant Gonzenbach et Hotte ont collaboré pour créer un projet émouvant et complètement original. Le traitement même du Fonds Manon Hotte rejoint l’art aux archives : les cotes sont identifiées avec des couleurs, et chaque boîte contient des chemises vides pour capter les expériences des chercheur.e.s futur.e.s. Leur projet propose une forme de diffusion créative unique. On pourrait même conclure qu’il y a un manque de projets créatifs de ce genre dans le milieu archivistique, peut-être parce que ces derniers supposent une rupture de la structure et de l’ordre qui gouverne les archives. Pourtant, les artistes représentent une communauté d’usager.ère.s avec beaucoup de potentiel pour activer et diffuser des archives, et l’apport des projets de recherche-création aux archives se perd.

Réflexions

Yvon Lemay, professeur associé à l’EBSI, a conclu le colloque avec une réflexion sur les présentations de la journée, relevant des thèmes et des questions clés. Comme Lemay le résume, dans les propos des conférenciers.ère.s on peut entendre que la diffusion, au sens large du terme, c’est la valorisation et la promotion, mais aussi la relation avec les usagers.ère.s. Alors que la diffusion est traditionnellement pensée comme la finalité du processus archivistique, elle devrait être considérée et imaginée à toutes les étapes du travail archivistique — surtout que la diffusion peut se réaliser de manière informelle à n’importe quel moment. Il y a plusieurs transformations qui ont eu lieu dans le milieu archivistique dans les dernières décennies, suivant des changements sociaux, économiques et technologiques, et ces transformations devraient se poursuivre. Il faut inviter ces changements de paradigmes, inviter le questionnement et le doute : ce sont ces questions qui nous font avancer.

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[1] Voir, par exemple, cette ressource de l’Université de Toronto : Critical Practices (Description) – Annotated Bibliography.

[2] Voir Drake, J. M. (2019). Diversity’s discontents: in search of an archive of the oppressed. Archives and Manuscripts, 47(2), 270-279.; Caswell, M. (2016). Owning critical archival studies: A plea [Lecture delivered at Archival Education and Research Institute]​; Dunbar, A. W. (2006). Introducing critical race theory to archival discourse: Getting the conversation started. Archival Science, 6(1), 109.​

[3] Voir Bastian, J. A. (2003). Owning memory: how a Caribbean community lost its archives and found its history. Libraries Unlimited.; Flinn, A. (2011). Archival activism: Independent and community-led archives, radical public history and the heritage professions. InterActions: UCLA Journal of Education and Information Studies, 7(2).; Ishmael, H. J. (2020). The Development of Black-Led Archives in London (Doctoral dissertation, UCL (University College London).

[4] Voir Nestle, J. (1979). Radical archiving: a lesbian feminist perspective. Gay Insurgent, 4(5), 10-12.; Pell, S. (2015). Radicalizing the politics of the archive: An ethnographic reading of an activist archive. Archivaria, 33-57.

[5] Voir Hudson, D. J. (2017). On « diversity » as anti-racism in library and information studies: A critique. Journal of Critical Library and Information Studies, 1(1).

[6] Voir, par exemple, Caswell, M. (2021). Urgent archives : enacting liberatory memory work (Ser. Routledge studies in archives). Routledge. https://doi.org/10.4324/9781003001355 ; Harris, V. S. (2021). Ghosts of archive : deconstructive intersectionality and praxis (Ser. Routledge studies in archives). Routledge.

[7]  En 2019, il y eut une exposition mettant en valeur les archives du NCC à la bibliothèque Webster de l’université Concordia.

[8] Voir Payette, D. (2019). Les brutes et la punaise. Les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures, Montréal: Lux.

[9] Voir la récente décision de la Cour de la Southern District of New York dans le procès Hachette v. Internet Archive.

[10] Voir encore Christen, K., & Anderson, J. (2019). Toward slow archives. Archival Science, 19, 87-116.

[11] Cardin, M. (2012). La valorisation des archives : Pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Dans F. Hiraux et F. Mirguet (dir.), La valorisation des archives. Une mission, des motivations, des modalités, des collaborateurs. Enjeux et pratiques actuels (pp. 33-49). Academia.

[12] Voir Alaoui, S. (2021). L’archive participative, les archivistes et les usagers : quels défis ? Quelles pistes de solutions ? Canadian Journal of Information and Library Science 43 (3), January/Janvier, 217-244.

[13] Voir Guitard, L. A. (2018). Vocabulaire employé pour l’accès thématique aux documents d’archives patrimoniaux : étude linguistique exploratoire de termes de recherche, de description, d’indexation. Thèse de doctorat, Université de Montréal.; Zhang, J. (2012). Archival Representation in the Digital Age. Journal of Archival Organization 10 (1), 45-68.; Force, D. C., et Smith, R. (2021). Context Lost: Digital surrogates, Their Physical Counterparts, and the Metadata that is Keeping them Apart. The American Archivist 84 (1), 91-118.

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