Archives et société

La collection d’archives du Centre canadien d’architecture: survol de ses particularités et de ses usages

par Gabriel Gravel et Elyse Boivin, étudiants à l’EBSI (Université de Montréal)

Selon le Conseil international des archives, les « lecteurs s’intéressent de plus en plus aux archives d’architecture, que ce soit dans un cadre universitaire, pour un usage professionnel ou par simple curiosité ». (Conseil international des archives, 2000, p. 122) Fondé sur la conviction que l’architecture est d’intérêt public, le Centre canadien d’architecture (CCA) déploie plusieurs moyens pour s’assurer de bien conserver, de rendre accessible et de mettre en valeur ses archives. Cette ligne directrice guide l’ensemble des activités du CCA, qui est à mi-chemin entre musée et centre de recherche. En effet, l’institution a un important rôle de « dépôt d’archives et de centre de documentation, ce qui suppose la collecte et le classement de fonds d’archives et autres ensembles de documents non publiés. » (Centre canadien d’architecture, 1988, p. 8) Le fait de se pencher sur les activités du CCA permet d’enrichir notre compréhension de la gestion et de la valeur des archives d’architecture, qui forment des ensembles documentaires d’une grande valeur patrimoniale. Ainsi, le présent texte se consacre à la présentation des différents enjeux reliés à la conservation d’archives d’architecture au CCA, ainsi qu’un survol de ses archives photographiques.

Les archives d’architecture au CCA : numériques et internationales

Selon Florence Wierre, historienne de l’architecture, « l’architecture, depuis une quinzaine d’années, est intimement liée à l’outil informatique ». (Peyceré et Wierre, 2008, p. 26) Fondé en 1979, le CCA évolue de pair avec le virage numérique de l’architecture, une réalité qui le pousse à s’adapter aux changements de la discipline. À l’occasion d’un colloque sur l’architecture et les archives numériques tenu à Paris en 2007, Howard Shubert du CCA revient sur les nombreux enjeux avec lesquels il a composé lorsque l’institution s’est penchée sur la conservation de ses premiers documents numériques dans un chapitre intitulé « La conservation des archives numériques au Centre canadien d’architecture : l’Embryological house de Greg Lynn ». La mise sur pied d’une méthode permettant de recevoir des archives numériques est nécessaire alors que « la production de données n’a jamais été aussi importante, et qu’à la masse du papier s’ajoutent les sauvegardes numériques, les archives d’architecture nécessitent des choix et des arbitrages qui conditionnent la perception qu’auront les historiens, demain, de notre environnement. » (Mus et Massire, 2021, quatrième de couverture) En utilisant l’Embryological house de Greg Lynn comme projet pilote pour la conservation d’archives numériques, le CCA s’est embarqué dans un long procédé cherchant à établir une méthode d’approche claire et efficace pour le traitement des archives d’architecture numériques. D’abord, la tenue du colloque Devices of Design, en 2004, a permis de réunir plusieurs experts pour discuter du projet. Dans la même lancée interdisciplinaire, le CCA met sur pied le Digital Architecture Work Group qui est composé de conservateurs, bibliothécaires, archivistes et informaticiens travaillant ensemble pour mettre en place une véritable stratégie numérique. En outre, l’institution rejoint un groupe d’universités canadiennes et lance le projet DOCAM (Documentation et conservation du patrimoine des arts médiatiques), cherchant à conserver, pérenniser et gérer les documents d’archives. Bien que le projet fut complexe, il a permis au CCA de développer une approche novatrice permettant un traitement efficace des archives d’architecture numériques. Le catalogage réalisé « à travers de nombreux allers-retours avec les architectes » (Peyceré et Wierre, 2008, p. 15) assure la pérennisation de ces archives, en garantit l’accessibilité et en facilite la diffusion.

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Une autre particularité des archives du CCA est que ses documents sont en grande majorité de provenance nord-américaine. Cependant, dans le but d’élargir la compréhension de l’architecture, l’institution a également acquis ou reçu en don des fonds d’architectes reconnus internationalement. En effet, la présence des fonds d’Álvaro Siza, d’Aldo Rossi et d’Erik Gunnar Asplund dans les voûtes témoignent d’un intérêt pour l’architecture d’ailleurs. Ici, il est pertinent de s’interroger sur le principe de territorialité. Comment ces archives internationales, mais aussi décidément portugaises, italiennes et suédoises sont-elles rendues accessibles en dehors des murs du CCA ? Toujours selon la même perspective que l’archive d’architecture est liée à l’entretien de la mémoire collective, il est essentiel de permettre aux chercheurs de ces pays de travailler avec les documents de ces fonds. Une première réponse à cette problématique se trouve assurément dans l’expertise numérique et dans l’effort de catalogage du CCA, qui ne peut que venir faciliter la diffusion et l’accès aux informations contenues dans ces fonds.

Les archives photographiques du CCA

La collection photographique constitue une partie importante des archives du CCA. Elle fut amorcée en 1974, avant même la création officielle du centre. Elle rassemble désormais plus de 60 000 images réalisées entre 1839 – l’époque correspondant à l’invention de la photographie – et aujourd’hui. La collection regroupe des clichés dont les sujets abordés permettent d’étudier la représentation photographique de l’architecture, de la ville et de l’aménagement des paysages, en plus d’en questionner les motifs et les usages selon les contextes (CCA, s. d.). Elle est également marquée par des fonds de photographes reconnus, tels que Roger Fenton, Thomas Keith, Édouard Baldus, Robert Macpherson et Felice Beato.

La collection d’archives photographiques du CCA se démarque entre autres par la multiplicité des procédés photographiques préservés. Certaines œuvres ont d’ailleurs été réalisées dans les premières décennies suivant l’invention de la photographie, comme c’est le cas pour l’importante collection de daguerréotypes du centre. La collection est aussi composée de photographies issues du début du XXe siècle. Les photographies expérimentales qui caractérisent les mouvements d’avant-garde font d’ailleurs l’objet d’un grand intérêt par les chercheurs. Les images documentent ainsi les projets d’architectes majeurs, comme Le Corbusier, Mies van der Rohe, Gunnar Asplund ou encore Frank Lloyd Wright. L’importante section de photographies issues de l’URSS du début du XXe siècle attirent également l’attention pour la recherche en histoire de l’art. À cet effet, les images portant sur le travail du célèbre artiste constructiviste Vladimir Tatline ou encore celles d’architectes russes – Melnikov, Ginsbourg, Vesnine, Friedman et Glouchenko – en sont des exemples marquants. La collection de photographies contemporaines rassemble quant à elle des œuvres créant une véritable typologie de l’architecture, comme c’est le cas pour Bernhard et Hilla Becher, qui s’intéressent aux installations industrielles modernes comme les châteaux d’eau.

De nombreux artistes en arts visuels ont exploré les archives photographiques du CCA afin de s’y inspirer. Depuis les années 60, plusieurs artistes s’intéressent plus largement aux photographies d’archives dans l’intention d’inscrire leur pratique dans un champ disciplinaire plus large (Bénichou, 2002). Ils réfèrent ainsi au passé par l’emploi, la réinterprétation ou le renvoi aux archives (Mavlian, 2014). Suivant cette mouvance, le projet Tangente invitait quatre artistes – Victor Burgin, Dieter Appelt, Naoya Hatakeyama et Alain Paiement – à réaliser de nouvelles œuvres à partir d’environ 200 images provenant de la collection du CCA (CCA, s. d.). Le projet visait à établir un véritable dialogue entre les photographies d’archives et les pratiques respectives des artistes, de manière à tisser des liens narratifs menant à la création de nouvelles œuvres inédites (CCA, s. d.). De 2003 à 2008, les œuvres issues de ces recherches à partir des archives furent présentées au CCA sous la forme d’expositions et de publications. Plus récemment, un autre projet qui s’intéresse aux archives photographiques sera organisé au CCA du 3 mai 2023 au 3 mars 2024. Intitulée Les vies des documents – La photographie en tant que projet, l’exposition abordera les différents rôles du médium photographique, se trouvant entre œuvre d’art, outil de recherche, document ou encore méthode d’exploration de l’environnement bâti. Des œuvres issues de la collection d’archives photographiques du CCA y seront exposées aux côtés d’objets liés à la production même de ces œuvres, de manière à disséquer les étapes qui ont permis la définition de la discipline photographique depuis les cinquante dernières années.

Conclusion

En somme, la collection d’archives du CCA se distingue par la variété des documents conservés, tels que des maquettes, des plans, des écrits ou encore des photographies qui ont majoritairement pour sujet la culture architecturale. Depuis sa fondation, le centre déploie couramment des efforts afin de favoriser l’accessibilité à sa collection, en mobilisant notamment des chercheurs internationaux dans des projets de recherche ou encore en octroyant des commandes à des artistes à partir de ses archives (CCA, s. d.). Ceci va de pair avec la mission de l’institution, visant à promouvoir la recherche en architecture et sa diffusion par la production d’expositions et de publications. Faisant suite au tournant numérique qui s’est opéré depuis les dernières années dans la discipline archivistique, le CCA s’est aussi doté d’une stratégie numérique visant à traiter, gérer, conserver et diffuser ses documents d’archives. Pour ce faire, le centre a notamment impliqué des experts de différents domaines, permettant ainsi de développer une approche numérique interdisciplinaire. L’intégration d’outils numériques permet du même coup une plus grande accessibilité aux archives du centre. Il serait intéressant de comparer l’approche du CCA avec celles des autres institutions de la Confédération internationale des musées d’architecture. Si tous les membres du conseil cherchent à préserver et rendre accessible le patrimoine architectural (ICAM, s.d.), leurs méthodes sont bien différentes et une comparaison de ces dernières viendrait assurément enrichir notre perspective.

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*Ce billet est une version rehaussée d’un travail qui a été réalisé à l’EBSI, Université de Montréal, dans le cadre du cours ARV1050 Introduction à l’archivistique donné au trimestre d’hiver 2022 par Virginie Wenglenski.

Bibliographie

Bénichou, A. (2002). Renouer avec l’esthétique de l’archive photographique. Ciel Variable, (59), 27-30.

Centre canadien d’architecture. (s.d.). La collection de photographieshttps://www.cca.qc.ca/fr/34085/guide-pour-la-collection-de-photographies

Centre canadien d’architecture. (s.d.). Guide des archives. https://www.cca.qc.ca/fr/archives/

Centre canadien d’architecture. (1988). Centre canadien d’architecture : les débuts, 1979-1984. Meriden-Stinehour Press.

Conseil international des archives. (2000). Manuel de traitement des archives d’architecture : XIXe-XXe siècles. Conseil international des archives.

International Confederation of Architectural Museums. (s.d.). About: The International Confederation of Architectural Museums. https://icam-web.org/about/

Mavlian, S. (2014). The Modern Archive of Conflict. Dans S. Baker (dir.). Conflict, Time, Photography (p. 206-217).Londres :Tate Publishing.

Mus, C. et Massire, H., (dir.). (2021). Papiers et pixels : collecter, conserver et étudier l’archive d’architecture. Presses universitaires François-Rabelais.

Peyceré, D. et Wierre, F. (2008). Architecture et archives numériques : l’architecture à l’ère numérique : un enjeu de mémoire. Infolio éditions.

Richards, L., Lambert, P. et Centre canadien d’architecture. (1989). Centre canadien d’architecture/Canadian Centre for Architecture : building and gardens. MIT Press.

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