Sécurité et aspects légaux

Les agendas des ministres et les données ouvertes: la démocratie contre l’histoire

En novembre 2014, deux articles parus sur le site de Radio-Canada et dans La Presse nous apprenaient que le gouvernement Couillard allait rendre public les agendas des ministres. Pour le ministre Jean-Marc Fournier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne, il s’agit d’une illustration concrète du souci de transparence des élus. Il ajoute : « Actuellement, nulle part ailleurs dans le monde les membres du gouvernement ne diffusent aussi systématiquement et avec autant de précision les agendas de rencontre et des activités publiques. » Bien entendu, il y a des restrictions à la mise en ligne d’agendas. Au chapitre de l’accès des documents des organismes publics et à la protection des renseignements personnels, par exemple, la divulgation de données à caractère personnel pourrait contrevenir à cette loi. Sans vouloir atténuer l’enthousiasme du ministre Fournier pour la transparence administrative, mentionnons qu’en France c’est chose faite depuis un certain temps, et les citoyens français peuvent consulter l’agenda du Premier ministre Manuel Valls en ligne et en télécharger une version PDF, s’ils le souhaitent.

Que faut-il penser, d’un point de vue archivistique, de cette « avancée » de la démocratie parlementaire ? Récemment, dans une conférence prononcée par Alain Lavoie, président de la société Irosoft, 7e symposium du Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA), celui-ci se demandait s’il fallait tout publier, tout diffuser. En traitant de la question des données ouvertes (Open Data), il a justement pris en exemple les agendas… Il a alors souligné – avec justesse, je crois – que le fait de mettre en ligne des agendas allait amoindrir leur valeur probante. En effet, que pensez-vous qu’un ministre va inscrire dans son agenda s’il est disponible en ligne? Il ne mettra sur le Web que ses rendez-vous officiels et en taira plusieurs autres, ce qui me semble assez normal compte tenu de son degré d’exposition. Surtout, il ne mettra aucun nom, aucune adresse, aucun renseignement susceptible de contrevenir à la législation sur la protection des données à caractère personnel. Et que va-t-il résulter de tout ça ? Un agenda réduit à sa plus simple expression. Un document pauvre en information.  Bref, sous prétexte de contribuer à la démocratie, on videra les agendas de leur substance, de leur contenu informationnel et, surtout, on atténuera grandement leur qualité de source pour l’histoire.

Les documents d’archives sont une source pour l’histoire. Ils permettent de témoigner des faits et gestes des personnes de ce siècle. Les mettre à la disposition du public atténue grandement leur valeur d’information et de témoignage. Et demain, nos enfants et leurs enfants après eux, ne sauront pas grand chose… À tout le moins, ils sauront que leurs pères, et leurs pères avant eux, auront été démocrates… contre l’histoire !

Une réflexion sur “Les agendas des ministres et les données ouvertes: la démocratie contre l’histoire

  1. Publier les agendas (si c’est comme celui du premier ministre français) ne présente aucun intérêt informationnel. On sais qui ils voient mais on ne sais pas de quoi ils parlent (s’ils le savent eux-mêmes). Ces agendas sont-ils mis à jour ? Je doute que la journée effective du 7 janvier de M Valls soit celle de son agenda (cruelle actualité).
    Il s’agit entre autre d’un abus de langage. Les données prétendument ouvertes, ne sont que matière à spéculation pour journalistes ou café du commerce. il existe un autre terme qui est « public » et qui s’entent à la fois comme « au vu et au su de tout le monde » ou comme « ce qui à trait à la vie du citoyen ». Cette ambiguïté est nocive et n’a pas fini de faire des ravages via le « politiquement correct » que l’on pourrait peut-être renommer le « publiquement correct » et peut-être bientôt le « publicitairement correct ».
    Sur ce terrain, l’archivistique a (avait?) un beau concept à défendre: le « délai de protection » (c’est-à-dire l’accès différé dans le temps), mais dans ce monde d’instantanéisme débridé il faudra sérieusement renouveler son marketing !!!

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