Congrès

Transformation numérique et travail humain: collaboration entre intelligence humaine et artificielle

Dans le cadre du 49e congrès de l’AAQ, notre reporteur étudiante, Camillia Buenestado Pilon, a préparé une série de compte-rendu de conférences. Ceci est le deuxième texte de la série.

Professeur titulaire à l’Université Laval, fondateur du Laboratoire Co-DOT et directeur de l’Unité mixte de recherches en sciences urbaines (UMRSU), Sébastien Tremblay s’intéresse aux liens entre la transformation numérique et l’intelligence artificielle. Dans le cadre du 49e congrès de l’AAQ, M. Tremblay a présenté une conférence sur la pertinence de la collaboration entre l’intelligence humaine et artificielle dans une perspective de maximiser la performance humaine dans divers domaines. Regard sur un champ de recherche dont les applications sont plus que transversales.

D’emblée, Sébastien Tremblay précise que la transformation numérique est vaste et touche à plusieurs domaines, quoique plusieurs enjeux touchent précisément à l’archivistique. Ses thèmes de recherche le démontrent bien. Si l’étude de performance du travail humain est pertinente, c’est qu’elle s’inscrit en lisière de l’optimisation de la gestion des données (surtout à des fins d’optimisation des processus décisionnels), et de la bonification de l’expérience utilisateur (par le développement de systèmes et de technologies adaptatives).

Avec une spécialisation en sciences cognitives et en psychologie, l’approche de M. Tremblay s’inspire des théories d’ergonomie cognitive pour penser l’optimisation de l’information pour le travail humain, faciliter la compréhension et l’analyse humaines, et penser le développement de systèmes adaptatifs qui suivent en temps réel les états cognitifs et affectifs de l’utilisateur. Il s’agit ainsi de modéliser l’activité humaine et de déployer des stratégies qui stimulent, par le fait même, le développement d’innovations sociales et technologiques. De plus, la démarche de M. Tremblay prend forme dans un modèle de collaboration lié à une approche d’unités mixtes. Dans cette conceptualisation de la collaboration, la mixité entre l’industrie, le milieu académique, et l’administration publique sert de moteur pour accentuer l’innovation. L’UMRSU est un exemple fructueux de ce type de collaboration, au sein de laquelle l’Université Laval devint un véritable laboratoire urbain vivant.

« Le défi, c’est de transformer la donnée en savoir »

Projet de solutions cognitives et technologies à la gestion en sécurité publique, Sécurité urbaine et vivre ensemble, par l’Unité mixte de recherche en sciences urbaines.

La productivité passe toujours par la collaboration entre les producteurs et les organisateurs, affirme le chercheur. Pour voir comment se concrétise cette collaboration, il faut se pencher sur le concept de design thinking, soit l’accompagnement du développement d’une idée par une équipe multidisciplinaire. Le Service de Police de la Ville de Québec a fait appel à ce type d’expertise pour améliorer son offre de services, développer de nouveaux projets et trouver des partenaires-clé. La stratégie derrière le succès de ce projet? Une formule co-modale alliant activité, technologie et humain dans une méthodologie qui propose un arrimage de l’espace problème et de l’espace solution. Cet arrimage se fait à travers une stratégie qui comprend une veille technologique ainsi que l’utilisation de sondages et de tests, tout en gardant l’expérience utilisateur au cœur de la solution.

Avec la COVID, la transformation numérique a certainement été accélérée. Mais une accélération trop rapide soulève plusieurs préoccupations. Les poussées technologiques non accompagnées d’une réflexion sur la dimension sociétale de l’utilisateur risquent de complexifier la distribution optimale des tâches entre l’humain et l’ordinateur. Les risques de désinformation font aussi partie des enjeux. La première étape est toujours de faire une analyse des besoins humains et de la distribution du travail pour identifier ce qui peut l’être et comment. L’intelligence artificielle et ses avantages demeurent relativement diffus.

Car dans tout processus de transformation, il faut se souvenir qu’il y a des différences fondamentales entre la donnée brute, l’information, la connaissance et le savoir. L’intelligence artificielle ne sera jamais plus efficace que les données qui ont permis de la créer, souligne M. Tremblay. Par exemple, un projet s’est développé en partenariat avec le Service de Police de Québec qui désirait mettre sur pied un système d’analyse prédictive plurisectoriel pour optimiser le déploiement des ressources policières sur le territoire. Mais ultimement, malgré la présence de systèmes d’aide à la décision, les modalités du déploiement dépendent toujours d’une décision humaine. Tout comme de bonnes données brutes de base serviront d’algorithme pour créer ledit système.

Par ailleurs, ce système d’aide à la décision est un excellent cas d’intelligence artificielle appliquée, basé sur l’innovation technologique, centré sur l’utilisateur, et faisant appel aux connaissances de plusieurs disciplines. Et ainsi, quand on parle d’intelligence artificielle, on parle d’un système qui s’adapte dans lequel l’humain est un joueur actif, et qui améliore l’algorithme par son interactivité.

Une nouvelle vision pour l’IA : le cognitive shadow

Une autre application intéressante de l’intelligence artificielle consiste à apprendre les règles de décision d’un expert. Par exemple, le cognitive shadow a permis de mettre sur pied un algorithme pour améliorer des décisions expertes en extrayant un arbre de décisions. Il s’agit d’extraire le modèle mental, une filature artificielle des meilleures décisions de l’intelligence humaine. Ce cognitive shadow assure que l’intelligence humaine soit à son meilleur malgré des facteurs perturbateurs comme le stress et la fatigue.

Projet de modélisation de l’information voyageur et prédiction de l’achalandage, Transport intelligent et mobilité inclusive, par l’Unité mixte de recherche en sciences urbaines

Un exemple intéressant est celui du bus connecté, un autobus semi-autonome – mais complètement intelligent – qui détecte les variations de son environnement, mais aussi des utilisateurs et de l’état du conducteur. Une biométrie permettrait d’indiquer les besoins d’accompagnement et formulerait des recommandations en temps réel. Au niveau sociétal, ce type de projet est plus que pertinent. Le cognitive shadow peut aussi s’avérer pertinent au niveau des premiers répondants. L’utilisation de ce type de technologie dans ce contexte permettrait de diminuer les risques et d’améliorer l’efficacité, mais aussi d’identifier quelle information peut venir en aide à la décision.

De nouvelles avenues à explorer

Le cognitive shadow pourrait ouvrir des avenues intéressantes au niveau de l’éducation. Un jeu intelligent qui s’adapte par les indicateurs biométriques et par une lecture des indicateurs d’habitudes pourrait bouleverser l’expérience d’apprentissage. Un monitorage de la frustration par rapport à l’échec, un sentiment d’ennui, etc. pourrait optimiser l’engagement et la motivation. Même l’industrie funéraire pourrait se trouver révolutionnée. Par la personnalisation de l’offre, une prolongation de l’expérience par la « compassion » dans la technologie, il pourrait être possible d’offrir une technologie conviviale et humaine.

Et en archivistique ?

Les applications du cognitive shadow en archivistique sont potentiellement nombreuses, surtout en ce qui a trait à la sécurité des données. Une grande partie des données de big data peuvent être endommagées ou détruites. L’approche cognitive shadow passe par des arbres de décisions et peut justement pallier à ce manque de données. Des recherches se penchent d’ailleurs sur la création d’arbres avec des données non-structurées et incomplètes. De plus, elle pourrait servir plus directement à compléter des documents partiellement endommagés, notamment par l’utilisation de scanneurs 3D.

L’intelligence artificielle pourrait intervenir à plusieurs niveaux au niveau de la mission de BAC, par exemple. Ces technologies pourraient offrir une aide importante dans le développement de la théorie, des pratiques et des procédures d’archivage. De même, l’utilisation de technologies comme la simulation permettraient de réduire l’ambiguïté lors des problèmes non structurés et d’aider à la prise de décision. L’intelligence artificielle possède un potentiel intéressant au niveau de la formation et peut aider au développement de capacités de compréhension les liens entre les représentations de documents, les activités et les processus.

Par ailleurs, l’intelligence artificielle pourrait ouvrir de nouveaux horizons pour certaines fonctions de l’archivistique. Par exemple, elle pourrait éventuellement automatiser le tri des données numériques. Elle pourrait également fournir une analyse sémantique, voire une analyse de l’utilisateur afin de connaître ses besoins. Ceci pourra aider les institutions archivistiques à modifier leur offre en la modulant davantage en fonction de l’utilisateur.

Puis, insiste le chercheur, l’intelligence artificielle a un rôle décisif à jouer dans la guerre à la désinformation. Un phénomène récent, le deep fake, consiste à altérer des vidéos animées et des documents, mettant en péril leur intégrité et leur authenticité. Mais il sera bientôt possible de développer certains agents qui peuvent trier, filtrer et détecter la falsification des documents à différents moments du cycle de vie des documents et à travers les différentes étapes de traitement.

Finalement, l’intelligence artificielle s’avère prometteuse pour la conservation des documents. L’élaboration de modèles tenant compte des contraintes physiques et intellectuelles (ainsi que d’un calcul coûts-bénéfices) dans des pays en voie de développement pourrait aider à préserver des documents à risque.

Les applications de l’intelligence artificielle sont nombreuses et pourraient révolutionner nos manières de travailler en archivistique. À nous d’identifier nos besoins et à voir comment pourraient être optimisés nos processus décisionnels.

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