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Le travail sur archives. Entretien avec Antoine Mandret-Degeilh et Jonathan Barbier

Par Jonathan David, analyste gestion de l’information au CSSMB, responsable du blogue Convergence

La rentrée scolaire approche, et l’heure est à la planification et aux achats de matériel scolaire. Pourquoi ne pas ajouter aux dictionnaires, guides de rédaction et autres outils méthodologiques un guide sur le travail avec les archives!

Les étudiants, qu’ils soient en science humaine, mais également dans d’autres domaines, sont de plus en plus appelés à travailler avec des documents d’archives dans le cadre de leurs études universitaires. Pour les non-initiés, la première approche ou fréquentation d’un centre d’archives peut être un moment angoissant. Chercher où, chercher quoi, chercher comment?

Un petit guide intitulé «Le travail sur archives» répond à toutes ses questions et bien davantage. À ce sujet, je m’entretiens avec ses deux auteurs, Antoine Mandret-Degeilh et Jonathan Barbier.

J.D. – À qui s’adresse principalement votre livre ?

A.M-D&J.B – Notre livre s’adresse à tous les publics susceptibles de consulter des archives : chercheurs en sciences humaines et sociales, étudiants, journalistes, généalogistes et citoyens désireux de mener une démarche administrative dans un service d’archives, par exemple.

Ces différents publics sont susceptibles d’avoir des usages très différents les uns des autres et c’est pourquoi nous avons œuvré à ce que cet ouvrage puisse se lire de différentes manières : de la première à la dernière page ou, au contraire, en « picorant » et en sélectionnant certains passages plutôt que d’autres selon ses centres d’intérêt. Nous avons également signalé, tout au long du manuscrit, les développements qui renvoient plus spécifiquement à un usage universitaire ou journalistique, à un usage généalogique ou bien à un usage administratif du travail sur archives. Par ailleurs, des encadrés, à la fin de chaque chapitre, ont pour but de résumer l’essentiel du propos du chapitre. Enfin, des annexes permettent de développer et d’illustrer, notamment par l’image, certains points du manuscrit.

J.D. – Votre livre entend démystifier le milieu des archives pour ceux qui n’en ont qu’une vision cinématographique, c’est-à-dire avec les clichés et préjugés habituels. Quels sont les mythes que vous rencontrez le plus fréquemment chez les étudiants, et comment y faire face sur le terrain?

A.M-D&J.B – Les étudiants, dont nous avons pu diriger les mémoires de recherche ou les rapports de stage ces dernières années, notamment à Sciences Po Toulouse où nous avons tous les deux enseigné, ont souvent une appréhension face aux services d’archives et on retrouve effectivement chez eux les mêmes représentations que celles communément admises dans la population : les services d’archives seraient des lieux poussiéreux et respirant la tristesse, des lieux intimidants ou encore des lieux difficiles d’accès, que ce soit en termes de localisation géographique ou d’horaires.

Tout notre travail d’enseignants (dans le cadre d’ateliers d’initiation à la recherche, par exemple) a consisté par conséquent à démystifier le milieu des archives, non seulement en envoyant nos étudiants dans des services d’archives – nous avons pu, à chaque fois, compter sur la complicité des archivistes qui sont eux aussi de vrais pédagogues et ont su accueillir nos étudiants, leur présenter les archives, leur faire visiter les magasins, etc., bref, ont su leur donner envie d’aller plus loin – mais aussi en organisant dans nos établissements universitaires des séances à part entière d’apprentissage des méthodes du travail sur archives (en répondant à des questions pratiques telles que : À qui s’adresser ? Par où commencer ses recherches ? A-t-on le droit de consulter des documents manuscrits ? Qu’est-ce qu’un fonds d’archives, une série, une cote ?), à rebours de cette idée selon laquelle l’apprentissage du travail sur archives ne se ferait que par la pratique et sur le terrain et ne nécessiterait pas de longs développements, idée dont notre ouvrage cherche à tordre le coup ! À vrai dire, l’un ne va bien sûr pas sans l’autre.

J.D. – Un centre d’archives peut se révéler être un environnement anxiogène pour le jeune chercheur qui n’est pas encore habitué à travailler avec des archives. Vous exposez dans votre livre plusieurs conseils sur ce qui est permis ou prescrit une fois sur place. Quelles sont les problématiques les plus fréquentes que vous avez observées ?

A.M-D&J.B – Ce livre part, tout d’abord, de notre propre connaissance empirique du travail sur archives. Nous avons appris ce savoir-faire à partir de nos propres erreurs : parmi les problématiques les plus fréquemment observées, on retrouvera donc dans notre ouvrage la mauvaise gestion des heures de levée, un mauvais placement dans la salle de lecture, la batterie déchargée de l’appareil photo numérique, les photos floues, par exemple. Nous consacrons également de longs développements à la question du dilemme entre tout prendre en photos et s’astreindre à prendre des notes sur place.

Cela dit, il convient de ne pas dramatiser la consultation de documents d’archives et, plus largement, la fréquentation de centres d’archives. Il n’y a aucune raison que cela se passe mal ! Le tout est de bien préparer son séjour dans un service d’archives, étape cruciale trop souvent négligée à laquelle nous consacrons un chapitre à part entière de notre ouvrage, en listant notamment toutes les infos pratiques (des délais de réservation d’une place en salle de lecture aux nombre de boîtes qu’on peut commander et consulter à la fois, en passant par les pièces administratives nécessaires à la finalisation de l’inscription sur place, etc.) sur lesquelles chacun doit impérativement se renseigner avant de faire le déplacement.

J.D. – Au-delà du travail avec des archives, il y a d’abord la maîtrise des essentiels en recherche. Votre livre précise les différentes étapes et stratégies afin de bien se préparer à affronter un projet de recherche. Est-ce que vous considérez que les étudiants sont suffisamment outillés au niveau des méthodologies de recherche durant leur cursus scolaire?

A.M-D&J.B – Oui et non. Les établissements universitaires de sciences humaines et sociales proposent dans leurs cursus nombre d’enseignements de méthodes de la recherche en sciences humaines et sociales et ce, de plus en plus précocement avec des initiations à la recherche dès les premières années universitaires. Les étudiants, y compris ceux qui ne se destinent pas à la recherche dans leur vie professionnelle future, se retrouvent de plus en plus confrontés et sensibilisés à ce qu’est une démarche de recherche, ce que ce sont un protocole et un dispositif de recherche, ce que sont une problématique et des hypothèses de recherche, ce que sont l’écriture scientifique et l’administration de la preuve, etc. En ce qui concerne plus spécifiquement les techniques d’enquête, des disciplines comme la sociologie et la science politique ont vu fleurir, depuis les années 2000 notamment, les ouvrages méthodologiques à destination d’un public d’étudiants, que ce soit sur l’entretien individuel ou collectif, le questionnaire, l’observation directe, etc.

Du côté du travail sur archives, en revanche, on ne trouve étonnamment rien de tout cela ! Les aspects pratiques du travail sur archives ont été souvent occultés dans les manuels de méthodologie en sciences humaines et sociales – comme dans les enseignements universitaires d’ailleurs. Notre livre a pour ambition de remédier, en partie, à cet oubli. Comme l’enquête de terrain dans le cadre d’une recherche ethnographique, le travail sur archives est aussi une technique qui mérite d’être explicitée au plus grand nombre. Des étudiants insuffisamment outillés risquent de confondre bibliographie et inventaire des sources ou encore de ne pas distinguer la spécificité du travail sur archives dans un service d’archives et celle concernant l’analyse des documents d’archives numérisés et mis en ligne, par exemple.

J.D. – Ayant moi-même réalisé un mémoire de maîtrise, je peux également témoigner de la grande difficulté rencontrée dans tout projet de recherche : l’impossibilité de tout lire, de tout comprendre, et de tout expliquer. Votre livre propose également quelques notions d’échantillonnage et plusieurs conseils afin de ne sélectionner que l’essentiel. Diriez-vous que l’excès de détermination et le risque de perdre de vue son objectif initial sont des enjeux majeurs du travail sur archives?

A.M-D&J.B – Quand on entreprend un travail sur archives, il importe effectivement de ne pas établir une problématique de recherche figée, non modifiable avant même d’avoir dépouillé des boîtes d’archives. Au contraire, on doit passer la porte d’un service d’archives en ayant à l’esprit plusieurs hypothèses de recherches. Les documents d’archives infirment ou confirment, par la suite, ces dernières. La fréquentation des services d’archives a donc souvent pour conséquence de reconfigurer l’hypothèse de recherche de départ et il faut souvent accepter de redéfinir l’objectif initial.

C’est en ce sens que l’excès de détermination est un enjeu majeur du travail sur archives mais aussi, plus largement, de tout travail de recherche ! Le travail sur archives, toutefois, nous protège de cet excès de détermination peut-être davantage que toute autre technique d’enquête à cause de – ou, plutôt, grâce à – cette forme de sérendipité qui est inhérente à la consultation de toute boîte d’archives : travailler sur archives, c’est en effet se retrouver avec une, voire plusieurs centaines de documents à la fois entre les mains, des documents dont le contenu est souvent imprévisible et qui non seulement vous invitent à la flânerie mais aussi vous réservent des surprises qui vont vous aider, voire vous contraindre à remodeler le cours de votre recherche.

J.D. – Vous abordez également la question du dépouillement d’archives; comment annoter ou retranscrire pour retrouver facilement (et surtout rester fidèle à l’original); comment faire un recueillement statistique; comment et pourquoi faire une critique interne et externe de chaque archive consultée, etc. Certains chercheurs font également des photos et poursuivent leur dépouillement à la maison. Existe-t-il une méthode efficace afin de se structurer et d’éviter de se perdre dans l’abondance d’information recueillie une fois venue l’étape de l’analyse? 

A.M-D&J.B – En ce qui concerne le dépouillement des archives, nous proposons de distinguer trois méthodes : la transcription, la saisie statistique et la description ethnographique. Il n’y a pas une méthode plus efficace que les deux autres et nous nous gardons dans notre ouvrage de trancher en faveur de l’une ou de l’autre de ces méthodes, ne serait-ce que parce que ces méthodes ne sont pas concurrentes l’une de l’autre : elles renvoient simplement à des démarches de recherche différentes et elles permettent d’extraire des informations de nature différente contenues dans les documents d’archives. Nous suggérons donc au chercheur d’adopter la méthode la plus adéquate à sa recherche.

L’autre question qu’aborde l’ouvrage est celle de savoir s’il faut dépouiller sur place ou bien photographier pour dépouiller plus tard à la maison. Le dépouillement sur place est tout à fait envisageable lorsque l’on se rend régulièrement dans un service d’archives et que l’on mène une recherche sur la longue durée. En revanche, si, pour différentes raisons, le chercheur se retrouve dans l’impossibilité de faire un long séjour dans un service d’archives, l’appareil photo semble alors un outil indispensable dans son travail. À vrai dire, tout notre propos ne consiste pas à opposer le dépouillement sur place à la photographie : bien au contraire, nous plaidons dans notre ouvrage pour une complémentarité des deux pratiques de consultation des archives. Pour le dire différemment, nous préconisons de dépouiller sur place autant que possible mais reconnaissons également des cas de figure où le recours à la photographie se justifie.

Pour trouver le livre : https://www.armand-colin.com/le-travail-sur-archives-guide-pratique-9782200621056

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