Congrès

La gestion des données de recherche: sans collaboration point de salut

Nos reporters étudiantes du congrès 2021 vous présentent une série de comptes rendus de conférences. Ce deuxième compte rendu a été rédigé par Shahrazad Rahmé.

La troisième journée du 50e congrès annuel de l’Association des archivistes du Québec (AAQ) s’est ouverte avec une conférence intitulée « La gestion des données de recherche (GDR) : sans collaboration point de salut. » réunissant trois intervenants : l’archiviste Sandra Lacroix de l’Université TÉLUQ, le bibliothécaire Félix de la Durantaye à l’École nationale d’administration publique à Québec (ENAP) et l’agent de recherche Jonathan Dorey à l’École nationale d’administration publique (ENAP), l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et l’Université TELUQ à Montréal.

Tout d’abord, une donnée de recherche fait référence à « tout » type de données, peu importe son format, et qui peut être utilisé dans le cadre des travaux de recherche, selon la nouvelle politique commune sur la GDR des trois organismes subventionnaires fédéraux: Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Quant à la gestion des données de recherche, elle englobe la façon dont ces données sont gérées, avancées, accumulées, décrites organisées, préservées et diffusées.

Les interventions des conférenciers étaient également structurées autour de quatre thèmes principaux : l’implication à la gestion des données de recherche (GDR), l’emploi de l’expertise en GDR, les limites de la contribution à la GDR et enfin les avantages de la collaboration pour la GDR. Ce sujet a été présenté selon les perspectives des trois conférenciers.ières, chacun.e selon sa portée : celle archivistique, celle bibliothéconomique et celle en gestion de recherche.

Nous vous présentons ci-dessous une comparaison entre les interventions des invités selon ces thèmes principaux : Implication, expertise, limite et collaboration.

Comment voient-ils/elles leur implication dans la GDR?

L’archiviste Sandra Lacroix exprime que son implication dans la GDR est au niveau de l’évaluation et la préservation des données de recherche. Elle ajoute que l’archiviste doit être impliqué dès la création des données en collaborant avec les chercheurs et en développant une structure d’évaluation des données et mettant en place un plan de préservation.

Le bibliothécaire Félix de la Durantaye dit que l’implication à la GDR est mitigée au niveau de la bibliothèque et il décrit que : « c’est un dossier qui nous est tombé un peu dessus (…) un projet qui était approprié pour les bibliothèques, donc on se l’est approprié et on l’a domestiqué ». Mais selon lui, ce projet est plus ou moins accueilli dans les bibliothèques et cela dépend des bibliothécaires. D’un côté, il existe le groupe de bibliothécaires de liaison (proches des disciplines, des professeurs, des chercheurs) qui considèrent ce projet comme «un poids de plus sur leurs épaules». De l’autre côté, il existe le groupe de bibliothécaires (proches des directions, de la bibliométrie, du libre accès) qui trouvent que c’est un projet à valoriser dans les bibliothèques. D’un point de vue personnel, son implication se situe au niveau de la communication avec les différents services relatifs à la recherche.

SOURCE – CC BY-NC 2.0

L’agent de recherche Jonathan Dorey a dit que son implication dans la GDR se produit avant et après les demandes de subvention. Lorsqu’un chercheur commence à remplir une demande de subvention, les agents de recherche remplissent un rôle d’accompagnement, d’aide à la rédaction, de relecture et d’obtention du soutien des départements universitaires. Une fois les demandes de subvention soumises, les agents de la recherche se préoccupent du maintien des exigences financières et éthiques. Il décrit que son influence est directe dans la gestion des données de recherche : « Je suis l’un des rares au Québec, je ne suis pas le seul, mais l’un des rares où je peux me consacrer à temps plein à la gestion des données de recherche».

Jonathan a divisé son rôle en 3 volets principaux : le premier, par l’élaboration de stratégies institutionnelles au niveau universitaire, qui passe par la consultation des parties prenantes : service à la recherche, bibliothèques, archives, informaticiens, services des affaires juridiques (droits d’auteur, propriétés intellectuelles) ; le second, en mettant en place tous les outils existants, comme l’application web Dataverse pour partager et diffuser des données de recherche, le Dépôt fédéré de données de recherche (DFDR); et finalement par l’obligation de déposer les données de recherche et les questionnements qui se soulèvent sur le plan éthique et de la propriété intellectuelle.

Quelle expertise peuvent-ils apporter chacun à la GDR ?

D’un point de vue archivistique, Sandra Lacroix déclare apporter à GDR son expertise d’évaluation et de conservation au même titre que la conservation des archives pour les diffuser. Elle ajoute que la conservation des données de recherche se fait également à des fins de diffusion en plus de la finalité de partage. Sandra nous a invités à consulter l’article écrit par Catherine Laplante (2021) qui donne plus de détails sur le but de la conservation des données de recherche, la période de cette conservation et les enjeux relatifs.

Quant à Félix de la Durantaye, il a parlé de son expérience de bibliothécaire habitué à gérer des collections, les valoriser et les mettre en circulation. Il a accordé de l’importance à son expertise technique qui peut être apportée à la GDR mais également des compétences informationnelles des bibliothécaires. Ces derniers occupent des rôles de soutien à la recherche, de soutien à l’enseignement et de soutien à la réussite de l’étudiant, ainsi ils sont naturellement proches de la recherche. Mais cela soulève des questions « taboues »: est-ce que les bibliothécaires devraient faire de la recherche ? Ont-ils les habiletés à faire ça ? Est-ce que c’est leur travail ?

Jonathan Dorey trouve que la base de ses compétences en GDR provient de sa formation en science de l’information, principalement en archivistique, et de son intérêt spécifique à l’organisation de l’information. Il indique qu’il n’y a pas une formation précise pour devenir un agent de recherche. La personne pourrait avoir un parcours de recherche doctorale ou un travail dans un institut de recherche. Les compétences acquises au cours d’un tel parcours permettent aux agents de recherche de faire l’évaluation du plan d’un projet de GDR au-delà des chercheurs. Cela comprend la planification de la gestion documentaire, du stockage des données (actif ; semi-actif ; inactif), du partage des données et la définition des responsabilités des membres de l’équipe dans un tel projet.

Quelles sont les limites de leurs contributions à la GDR?

« L’université TELUQ est une toute petite université, je suis seul, juste une personne qui s’occupe des archives, c’est moi, et c’est certain je ne pourrais travailler à temps plein sur la GDR », selon Sandra Lacroix en exprimant le manque en ressources humaines et financières qui limite la contribution à la gestion des données de recherche. Elle continue en disant qu’ils n’ont pas un gros budget universitaire pour embaucher des gens et avoir des plateformes pour la conservation. Mais Jonathan, qui travaille comme agent de recherche dans trois universités, affirme que la taille de l’université n’est pas le facteur qui garantit plus de ressources.

Pour Félix, la limite définitive à la contribution des bibliothécaires à la gestion des données de recherche réside dans la perte de contact avec les professeurs. Cette connexion est devenue de plus en plus sous forme virtuelle avec l’utilisation croissante des bases de données et la diminution de l’utilisation des réserves de cours. Il ajoute qu’avec cette perte de contact, les professeurs ne savent pas tout ce que les bibliothécaires ont à offrir et ces derniers ne savent pas les besoins des professeurs, d’où l’effet négatif au niveau du soutien à la recherche. La solution, dit-il, est de renouer le contact avec les professeurs. Félix ajoute une deuxième limite, qui est au niveau de la communication avec la haute direction pour leur présenter l’importance d’un projet de GDR afin de les amener à investir de l’argent, du temps et de l’énergie dans un tel projet car il s’agit d’un service avancé à la bibliothèque.

Jonathan souligne également le manque de ressources, de temps et d’expertise, qui limite la contribution des agents de recherche à la GDR. Il ajoute un point important dans ce contexte en disant que leur rôle ou leur statut professionnel est « méconnu », tant par les bibliothèques et les archives que par les agents de recherche eux-mêmes.

Comment la collaboration est bénéfique pour tous les intervenants ?

L’archiviste Sandra Lacroix croit que la collaboration dans un projet de gestion de données se fait aussi naturellement que dans n’importe quel projet, en recherchant l’expertise nécessaire à l’exécution du projet. Elle a souligné cette fois encore la nécessité d’anticiper le besoin de ces expertises dès le début du projet afin de ne pas avoir à faire du rattrapage. Une idée qui a été aussi soulevée par l’agent de recherche Jonathan Dorey.

Félix considère que la collaboration est une tendance bien amorcée qui est très applicable dans le domaine des projets de gestion des données de recherche. Il affirme que c’est un « dossier par nature collaborative » qui regroupe de nombreux domaines d’expertises ensemble : les techniciens de l’information, les agents de la recherche, les politiques gouvernementales. Il ajoute que les bibliothécaires sont habitués à travailler ensemble, il nous a donné l’exemple du projet Sofia, l’outil de recherche de toutes les bibliothèques universitaires du Québec mis en place depuis l’été 2020.

Finalement, Jonathan Dorey exprime qu’il représente un modèle de collaboration à travers son poste de travail entre trois universités et au sein de l’INRS en faisant la connexion entre le service à la recherche et les bibliothèques.

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Pour en savoir plus :

Pour poursuivre la réflexion autour de la gestion des données de recherche, consultez le billet de Catherine Laplante sur le blogue Convergence : Les données de recherche : comment évaluer pour mieux conserver?.

 

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