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Peines et misères des archives nationales de Seattle

Par Rolman-James Gobeille-Valenzuela, diplômé de l’EBSI

Le 3 février dernier, je vous avais écrit un article concernant la fermeture imminente du service des archives fédérales de la ville de Seattle. Le sujet a dû laisser plusieurs lectrices et lecteurs dans l’inquiétude, l’incertitude, presque autant que les communautés directement affectées par cette fermeture surprise. Du moins, si ça ne vous avait pas effleuré l’esprit, lire sur ce sujet vous permettra de débrancher de la pandémie mondiale pendant quelques minutes.

Avant de discuter du chemin parcouru depuis février, il est nécessaire de nous replonger dans le bain avec un résumé de la situation telle que nous l’avions laissé il y a quelques mois de cela.

La surprise

Le 13 janvier, le personnel du service des archives fédérales de Seattle apprenait la fermeture imminente de leur service. Le Public Buildings Reform Board (PBRB), une agence gouvernementale vieille ayant à peine effleuré ses 4 ans d’existence, avait statué quelques mois plus tôt sur la possibilité de vendre l’installation et avait mené des consultations publiques à Denver au Colorado, soit à plus de deux mille kilomètres de Seattle, rien de moins. En vérité, guère peu de personnes à Seattle sauront quoi que ce soit des décisions du PBRB avant la mi-janvier.

Qu’importe, puisque le 27 janvier, l’Office of Management and Budget (OMB), envers qui le PBRB est redevable, tranche: le service doit être fermé, les archives relocalisées (au Kansas dans l’État du Missouri et à Riverside en Californie, selon le type d’archives (Hipolito, 12 février; Jenkins, 20 février)), le bâtiment converti pour des usages potentiellement immobiliers.

La décision surprend et met en colère un grand nombre d’actrices et d’acteurs dans cette comédie d’erreurs bureaucratiques. En premier chef, l’historien Feliks Banel, autrefois directeur adjoint du Museum of History & Industry (MOHAI), qui suit de près le dossier depuis la mi-janvier et avait mis la puce ã l’oreille du public en premier.

Il est important, ici, de mentionner des documents importants qui ont été rédigés dans le cadre de ce mouvement de contestation populaire et qui n’avaient pas été mentionnés dans le cadre du précédent article.

Parmi le nombre des lettres ayant atterri sur le bureau du directeur de l’OMB, Russel T. Vought, deux lettres [A] provenaient de deux tribus (les Puyallap et les S’klallam de Port Gamble) dénonçant le fait qu’aucune des tribus locales n’ait été consultée dans le cadre de cette décision; ainsi qu’une lettre bipartisane [B] signée par huit sénateurs et huit représentants fédéraux (des États de l’Alaska et de Washington, entre autres) qui déplore le manque de rigueur et de transparence du processus. La Secrétaire de l’État de Washington a également exprimé son mécontentement via un communiqué [C].

Bob Ferguson, procureur général de l’État de Washington, observait la situation de près et reconnaissait le caractère douteux de la transaction approuvée par l’OMB: à la fin de janvier, il évaluait les recours juridiques pouvant être menés pour infirmer la décision fatidique, sinon pour obtenir un compromis.

Crédit : Joseph O. Holmes CC BY-NC-ND 2.0

Chance ratée

Assurément, la performance du PBRB a déçu plusieurs communautés. Il y a d’abord ceux qui ont été victimes d’une décision homologue en 2014, les Anchorageois. La nouvelle a ouvert d’anciennes plaies et fut reçue comme une véritable trahison.

Dans une lettre ouverte [8], William Schneider, président de la Société Historique de l’Alaska, relate la promesse que la NARA avait fait aux alaskains: les archives devaient rester au moins dans la région du Nord-ouest pacifique (Schneider, Hartan et Parham, 3 février).

Les divers lieux proposés pour le déménagement des archives ne sont pas contenus dans cette région et il est à peu près certain, tel le décrit avec une teinte de frustration Karen Grey, archiviste de l’État de l’Alaska, que ces archives ne seront plus accessibles pour le jeune État qui doit déjà composer avec des ressources documentaires incomplètes (Jenkins, 20 février). Quoi dire des citoyens de Seattle si les archives déménageaient en dehors du nord-ouest pacifique (Eals, 12 mars)?

Il y a ensuite le cas des tribus de la région du nord-ouest pacifique, furieuses de ne pas avoir été consultées.  Ceci est particulier quand on considère que le service d’archives contient des documents d’usage régulier chez ces tribus quand il s’agit de défendre la possession de terres et de légitimer leur présence sur le territoire (Hipolito, 12 février).

La NARA a toutefois rencontré des représentants des tribus à la mi-février lors d’une rencontre privée (Banel, 11 février; Johnson, 10 février). La rencontre, bien trop tardive pour avoir un effet quelconque sur la situation et qui excluait d’emblée la possibilité de rétracter la décision de fermeture, n’a pas permis à l’organisation de regagner la confiance bafouée des tribus présentes. La rencontre s’est d’ailleurs faite sur fond de protestations juste à l’extérieur des bureaux des archives (Lacitis, 11 février).

Mais plus près de la décision, il y a les employé-es du service même et les différents archivistes d’État qui n’ont absolument pas été avisés ni même consultés. Comme pour ce qui est des tribus, la NARA a rencontré les membres du personnel au début de février (Johnson, 10 février), encore sur fond de protestations (Banel, 11 février).

La NARA, lors de ses rencontres, a dévoilé une partie de son plan pour l’avenir: la fermeture se ferait progressivement sur quatre ans, un plan de numérisation serait mis sur pied, les tribus seraient consultées (Banel, 11 février) et la vente devrait prendre environ un mois et demi (Hipolito, 12 février). Mais de telles paroles qui se veulent un présage de collaboration active ne concordent pas avec le silence radio qu’offre l’OMB et la NARA aux médias concernant le dossier.

Pour la suite

Pour bien clore ce mois infructueux et frustrant de février, Bob Ferguson envoie une lettre adressée à Russel Vought et aux membres du PBRB [D]. La lettre ne va pas par quatre chemins et déclare la transaction comme illégale. Ferguson est, cependant, réaliste quand il demande que la décision soit reconsidérée plutôt que renversée. Tout au plus, il demande que les archives restent dans l’État de Washington au lieu de quitter le nord-ouest pacifique (Banel, 24 mars).

La NARA répond à l’appel et une rencontre est tenue dans la mi-mars (Banel, 24 mars). Malheureusement la distraction de cette lecture doit s’arrêter, puisque la proposition finale de Ferguson, faisant suite à cette rencontre, doit se produire en avril; or, la situation présente liée à la crise sanitaire perturbe la procédure.

Toutefois, Ferguson a partagé des détails de sa proposition, qui invite à faire l’acquisition d’un autre bâtiment pour abriter le service ou de chercher à obtenir du financement à partir de la vente d’autres bâtiments vendus par le PBRB. Une poursuite est envisageable si la négociation ne parvenait pas à un résultat satisfaisant, déclarait Ferguson (Banel, 24 mars).

***

Références

Banel, F. (2020, 11 février). National Archives tries ‘re-set’ with tribes about Seattle closure. MyNorthWest. Repéré à:

https://mynorthwest.com/1715022/national-archives-tries-re-set-seattle-closure/

Banel, F. (2020, 24 mars). State AG Ferguson seeks compromise on Seattle National Archives Closure. MyNorthWest. Repéré à:

https://mynorthwest.com/1784267/ferguson-national-archives-closure-compromise/

Eals, C. (2020, 12 mars). Moving the Northwest’s historical records would make them hard to access. The Seattle Times. Repéré à:

https://www.seattletimes.com/pacific-nw-magazine/moving-the-northwests-historical-records-would-make-them-hard-to-access/

Hipolito, M. (2020, 12 février). National Archives closing could impact researchers, tribes, says UW professors. The Daily. Repéré à:

http://www.dailyuw.com/news/article_ea67c3fc-4d40-11ea-8e43-4fc0f3c5d146.html

Jenkins, E. (2020, 20 février). ‘Much of Alaska’s history is not here anymore’: The National Archives are moving again, this time even farther away.  KTOO. Repéré à:

https://www.ktoo.org/2020/02/20/much-of-alaskas-history-is-not-here-anymore-the-national-archives-are-moving-again-this-time-even-farther-away/

Johnson, M. (2020, 10 février). Government officials quietly meet with staff at National Archives office ahead of expected closure. Kiro 7. Repéré à:

https://www.kiro7.com/news/local/government-officials-quietly-meet-with-staff-national-archives-office-ahead-expected-closure/VIAYEN7HIFGVRC4QTHQQMB6QIE/

Lacitis, E. (2020, 11 février). ‘Frustrated’: Tribes finally get hearing with National Archives about Sant Point facility closure. The Seattle Times. Repéré à:

https://www.seattletimes.com/seattle-news/frustrated-tribes-finally-get-hearing-with-national-archives-about-sand-point-facility-closure/

Schneider, W. et Hartan, I. et Parham, B. (2020, 3 février). Save the National Archives at Seattle, a link from past to present. Anchorage Daily News. Repéré à:

https://www.adn.com/opinions/2020/02/03/save-the-national-archives-at-seattle-a-link-from-past-to-present/

Documents

[A] Lettres des tribus Puyallup et S’klallam de Port Gamble (23 janvier 2020):

https://www.documentcloud.org/documents/6671516-National-Archives-Puyallup-and-Port-Gamble.html

[B] Lettre des sénateurs et représentants à l’intention de l’OMB (24 janvier):

https://gallery.mailchimp.com/4cc76b29ebd6084a20161a5f6/files/4051de1b-b9b9-4e9b-992f-732fc6a80355/Congressional_Letter_to_OMB_Director_Vought_re_Seattle_Archives.pdf

[C] Communiqué de la secrétaire de l’État de Washington (27 janvier): https://www.sos.wa.gov/_assets/archives/letter_naraseattleclosure_012720.pdf

[D] Lettre de Bob Ferguson à l’intention de l’OMB (25 février): https://fr.scribd.com/document/448962923/WA-AG-Bob-Ferguson-National-Archives-letter#fullscreen&from_embed

Une réflexion sur “Peines et misères des archives nationales de Seattle

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