Profession

La place de l’archiviste dans la société

Par Nicolas Chantigny
En collaboration avec François Cartier

Ce qui se révèlerait être un secret de polichinelle pour certains constituerait une réelle surprise pour d’autres ; actuellement, la scène archivistique se retrouve sur une plaque tournante. Avec les compressions budgétaires au sein de nos institutions publiques et de leurs services de gestion documentaire, en parallèle avec les maigres enveloppes budgétaires accordées en subventions auprès des sociétés d’histoire et des centres d’archives, la nature du paysage archivistique québécois se voit sévèrement éprouvée sur le plan économique.

L’accroissement et l’amélioration des outils technologiques qui permettent une diffusion optimisée et une administration efficace des archives en liaison avec la prospective d’un potentiel de gestion intégrée des documents, fort prometteur à long terme, sont des éléments parmi tant d’autres à considérer dans la conjoncture existante pour comprendre cette métamorphose déjà en marche. Ainsi, en corrélation avec la perception transformée du public face aux archives et à la généalogie qui s’est vu propulsée par l’accès à une masse d’informations exponentielle, des paramètres nouveaux viennent reconfigurer l’envergure et la portée de la profession.

En conséquence, plusieurs acteurs du domaine veulent remédier à la situation en s’attardant à la place de l’archiviste dans la société. Véhiculée comme thème récurrent lors du 46e congrès annuel de l’AAQ, cette réaffirmation du rôle de l’archiviste s’est notamment imposée en tant que thème central à travers L’anti-conférence organisée par Catherine Dugas et réunissant Laure Guitard, étudiante au doctorat à l’EBSI, Mylène Bélanger, archiviste à l’Exporail, le Musée ferroviaire canadien et Catherine Irène Fournier, archiviste-consultante. Agissant comme une vive table de consultation, cette présentation tentait de mettre en relief les divers points à ajuster afin de transposer l’archivistique à l’ère du numérique en incluant l’auditoire aux débats. S’inscrivant dans la même veine, la conférence Le brave Nouveau Monde de l’information : Rien de neuf sous le soleil par François Cartier, archiviste à l’Institut national de recherche scientifique (INRS) et chargé de cours de l’EBSI, visait à nous «remémorer l’objectif derrière le travail de l’archiviste et [de] comprendre la place des archives dans la société ». Fondamentalement, il désirait montrer que notre travail aujourd’hui n’est pas si différent de ce qui se faisait par le passé. En harmonie avec cette présentation, nous aborderons les origines de la discipline archivistique en survolant de façon non exhaustive l’histoire avant de nous pencher sur les pistes de solution suggérées afin de se tirer de ce « cul-de-sac archivistique ».

La carte de Bedolina
Source : Luca Giarelli / CC-BY-SA 3.0

 

Pour reprendre les mots de docteur en histoire Paul Delsalle : « Une histoire de l’archivistique s’avère utile non seulement pour l’archiviste, mais aussi pour l’historien. » Cette affirmation est d’autant plus vraie lorsqu’il est le temps de revisiter les fondements de la profession. Des gravures rupestres de Val Camonica en Italie à la naissance de l’écriture en Chine au 15e siècle av. J.-C., « les archives servent à gérer la société, à reconnaitre les droits, à enregistrer la mémoire et à asseoir l’autorité ». Elles occupent d’ailleurs toujours les mêmes vocations. De la sorte, dès la naissance des civilisations, l’organisation des sociétés était déterminée par l’information contenue dans les archives. Au cours de son évolution, elle a donc laissé des traces de son fonctionnement. Pour illustrer ce concept, on pourrait donner en exemples les fameuses fresques de la grotte de Lascaux qui avaient des fonctions surtout spirituelles, la carte de Bedolina (un pétroglyphe qui représente l’un des premiers plans cartographiques de l’histoire), ou bien encore les 16,500 tablettes cunéiformes retrouvées dans des salles d’archives situées dans l’actuelle Syrie qui constituent des documents classés (tels que des comptes rendus de distribution de biens, des lettres, des ordonnances royales, de l’enregistrement de données alimentaires, le recensement d’opérations agricoles, des listes de fonctionnaires, etc.). Le rôle de l’archiviste, quant à lui, était indéniablement nécessaire. Considéré comme un gardien du savoir, on lui attribuait une raison d’être essentielle.

« Toute administration organisée a besoin d’archives où sont conservés les actes de toute espèce émanant du pouvoir » peut-on lire dans les écrits du Zhouli (le scribe rédigeant les annales royales de la Chine antique du 3e siècle av. J.-C.). Au sein de l’Empire ottoman, le Defterkhâne (la salle des archives de l’actuelle ville d’Istanbul) était placé dans le palais du Sultan, près de la salle du conseil, afin de faciliter l’accès à la consultation de documents. Les archives et le pouvoir atteignaient alors avec cohésion une proximité sans précédent. De plus, c’est à l’époque du Premier Empire français que Napoléon Bonaparte a déclaré « qu’un bon archiviste est plus utile pour un gouvernement qu’un bon général d’armée », dévoilant ainsi l’ampleur de la mission de l’archiviste ! Enfin, il a fallu attendre au 19e siècle pour qu’une énième responsabilité de l’archiviste s’opère : de « collaborateur à l’administration » il occupa désormais le rôle « d’interprète des documents qu’il possède ». Plusieurs passages de l’histoire témoignent donc de cette réécriture du mandat de l’archiviste, voire de son ascension parfois même révélatrice de bouleversements d’ordre politique, social et économique. Au final, la place indispensable de l’archiviste dans la société est l’héritage d’une longue histoire et non le fait des bouleversements récents de notre ère.

Afin de stimuler la réflexion sur les multiples diagnostics accolés aux problèmes contemporains mentionnés en introduction, L’anti-conférence a orienté ses observations autour de quatre axes d’intervention. Réinventer la place de l’archiviste dans la société n’étant pas une mince affaire, les propositions sont ouvertes et leur efficacité reste à être prouvée. Évidemment, l’importance de définir le rôle de l’archiviste trônerait en première place des objectifs à remplir afin d’arriver à nos fins.

En effet, pour remplir ce désir d’être reconnu, l’archiviste devra identifier son rôle et ses méthodologies de travail (ce qu’un retour sur l’histoire de sa profession devrait faciliter), tout en apprenant à vulgariser à la population son mandat afin de se tailler une place de choix à l’ère du Big data.

L’archiviste aura également à poursuivre le rassemblement des archives historiques et de la gestion documentaire sous un même pôle professionnel, car les documents créés aujourd’hui deviendront les archives de demain et qu’en ce sens, il est contradictoire de ne pas vouloir embrasser cette multidisciplinarité.

Par après, la formation académique des aspirants archivistes aurait intérêt à être réformée. En visant une polyvalence augmentée et correspondante à la flexibilité demandée lors de la pratique sur le marché du travail, l’ajout de cours issus de domaines complémentaires (tels que le droit, la comptabilité et le management) ainsi qu’éventuellement la création d’un baccalauréat en archivistique sont suggérés. La formation continue est d’autant plus une force sur laquelle l’archiviste devrait miser de manière autodidacte ou en milieu de travail. La coopération avec d’autres professionnels entourant la gestion documentaire et l’archivistique serait primordiale à maintenir afin de déterminer les rôles et objectifs de tout un chacun. Le temps où l’archiviste travaillait seul dans un sous-sol obscur est révolu! Cette collaboration permettrait d’établir les besoins et les ressources essentiels à l’organisation du travail de l’archiviste, tout en garantissant une cohérence avec les objectifs à remplir de l’entreprise. Ce travail d’équipe avec des techniciens en informatique, des gestionnaires, des muséologues, des avocats et d’autres professionnels connexes serait nécessaire à une perspective d’interdisciplinarité optimale et à une communication adéquate entre les divers paliers d’une organisation. La promotion de la discipline passerait, entre autres, par la reconnaissance de ses pairs ; l’archiviste doit donc se faire l’allier de ses collègues. Le renouvellement de la place de l’archiviste dans la société se canaliserait aussi par la transmission du savoir à la relève.

Avec un grand public de plus en plus friand d’informations, des plateformes de diffusion opérables avec aisance, des systèmes de gestion intégrée des documents, des pistes de solution concrètes et un tremplin direct vers une société de plus en plus numérique, la stratégie afin de redorer l’image de l’archiviste et de lui accorder les lettres de noblesse et la notoriété dont il a bénéficié par le passé est en marche. D’autres initiatives, en marge du congrès, démontrent ce vent de changement qui veut démocratiser la discipline archivistique. On peut notamment suggérer les capsules Facebook de Marysol Moran intitulées Archiviste de famille qui exposent les dessous de la profession d’archiviste au grand public ou bien la mise en œuvre du réseau social Archives-moi, qui est dédié à la diffusion des documents patrimoniaux des citoyens, pour illustrer cette tendance à vouloir sortir l’archivistique de l’ombre et de la poussière…

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Pour en savoir plus :

CARTIER, François, Archives 21, Les archives et la société : c’est votre affaire !, http://archives21.ebsi.umontreal.ca/tag/importance-des-archives/

TURGEON, Christine, Convergence, Retour sur le congrès 2017 : Le cul-de-sac archivistique, comment s’en sortir? – Une anti-conférence, https://archivistesqc.wordpress.com/2017/06/07/congres_2017_01/

http://archives-moi.com/

https://www.facebook.com/archivistedefamille/